jeudi 23 août 2007

La politique de « l’émotion et du people » (Suite)

Mercredi 22 aout 2007 :
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Je me suis aperçu ce matin en lisant « le Monde » que j’avais un peu anticipé son éditorial du jour : « L’état émotion ». Cet éditorial rejoint et développe ce que je disais hier au soir dans mon papier. Et je ne peux qu’être d’accord avec l’éditorialiste qui met en garde sur la transformation de « l’état républicain » en « Etat émotion ».

« Etat émotion » que cette présence lors des obsèques d’un marin pécheur où on n’oublie pas d 'amener dans ses bagages l’ « Etat people » avec Maud Fontenoy.
J’ai regardé le journal de BFM TV ce soir. Que voit-on ? Dix secondes du cercueil entrant dans l’église, un rappel de la douleur de la veuve (qui en douterait ?), un long extrait de notre président serrant des mains, expliquant que la France va tout faire dans cette affaire et un non moins long extrait d’une interview de Maud Fontenoy « ramant » pour expliquer sa présence avec notre président et la solidarité des gens de mer.

Exit Michel Barnier, pourtant Ministre de la pèche, dont personne sur BFM TV ne s’est aperçu de la présence. Exit la douleur des gens de mer et leur digne résignation. Exit la présence de ces centaines d’inconnus venus rendre un dernier hommage à l’un d’entre eux, un de leur pays.

Présent par contre les applaudissements au passage de Nicolas Sarkozy. Présent le serrage de mains obligatoire. Présent ce geste de la main en direction des caméras au moment de monter dans la voiture présidentielle avec Maud Fontenoy.

Mais, nous sommes en Bretagne. Nous sommes dans une région où l’océan a pris dans chaque famille au moins une personne. Nous sommes dans une région où l’on montre peu ses émotions mais où on se souvient longtemps des véritables intentions des gens.

Je ne suis pas sûr du tout que cette soudaine irruption d’un « Etat d’émotion » dans l’émotion d’un moment douloureux ait été perçu comme autre chose que ce que notre Président voudrait éviter de montrer : de la démagogie.

Ce qui est par contre sûr, c’est que l’équipage du Sokalique et la veuve de son capitaine ont compris, c’est comment désormais l’Etat marche : interpeller le chef de l’Etat en ouverture d’un JT, surtout celui de TF1 un dimanche soir, en lui demandant « de se mouiller ».Chose faite le mardi !

Comme le disait mon éditorialiste du Monde ce matin : « A force de vouloir prouver son efficacité, tous les jours et sur tous les fronts, l'"hyper président" en fait trop. Non seulement parce qu'il brouille les institutions, réduit ses ministres à faire de la figuration et, au passage, s'expose trop pour durer. Mais surtout parce que le président est menacé de glisser sur une pente dangereuse. Celle qui, à partir de l'attention légitime prêtée aux victimes, aux "vraies gens" et à leurs problèmes, conduit à la démagogie. »

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une bonne nouvelle : le Monde prend donc de la distance par rapport au Président ?
J'espère que ce petit réveil sera suivi par d'autres et que l'on pourra enfin lire bientôt la presse française sans avoir systématiquement des "odes à sarko"... Sur le fond, cet épisode est dans la droite ligne de ce que l'on constate depuis des semaines ...A noter que par contre seul Fillon s'est rendu aux Antilles une semaine après le passage du cyclone Dean, il y a pourtant eu deux morts et d'énormes dégats ...
Marie Laure
Blog de Hypos

Jean-Claude Mathon a dit…

L'éditorial du Monde :

L'affaire du petit Enis est l'un de ces faits divers dramatiques qui marquent l'opinion, suscitent l'émotion, soulèvent l'indignation. À la fois parce que la victime est un enfant, et parce que nul ne peut s'empêcher de penser que cette récidive-là aurait pu - aurait dû - être évitée. Dès lors il est normal que l'exécutif démontre rapidement qu'il entend tirer les leçons de cette agression pédophile. D'autant que Nicolas Sarkozy est en phase avec une époque où, dans l'imaginaire des peuples, les destins individuels ont pris le pas sur les grandes aventures collectives. Il entend donc témoigner, à tout instant, d'une attention à la vie quotidienne que la politique et ses acteurs semblaient avoir oubliée.

C'est là que le bât blesse. La politique ne peut se contenter de réponses à l'emporte-pièce, ni se cantonner à une succession de réactions compassionnelles, presque épidermiques à tout épisode marquant de la vie publique. Sauf à prendre le risque d'épouser, et finalement amplifier, tous les emballements de l'opinion publique, aussi compréhensibles soient-ils. La responsabilité de l'exécutif et plus encore celle du chef de l'Etat doit être, évidemment, de chercher des solutions, mais en prenant en compte et en expliquant la complexité des problèmes plutôt qu'en la balayant d'un revers de main ou d'un haussement de menton.

L'annonce de la création d'hôpitaux fermés pour les délinquants sexuels, après la prison, illustre cette dérive. Que le dispositif actuel ait montré, une nouvelle fois, ses limites, voire des carences criantes, c'est une évidence. Ce n'est pas une raison pour y répondre par une solution qui pose de redoutables problèmes juridiques, moraux, déontologiques ou constitutionnels. Cela ne conduit-il pas, subrepticement, à rétablir les peines à perpétuité, au mépris des peines prononcées par la justice ? Comment ne pas mesurer les risques de dérapage que cela pourrait entraîner dans d'autres domaines ? Comment distinguer crimes sexuels et crimes "ordinaires", si l'on ose dire ? Comment confier à des commissions de médecins la responsabilité de trancher, à nouveau, le sort de personnes déjà jugées ? Comment enfin faire croire qu'une nouvelle loi réglerait le problème, quand les dispositions existantes sont aussi peu et mal appliquées, faute de moyens notamment.

A force de vouloir prouver son efficacité, tous les jours et sur tous les fronts, l'"hyperprésident" en fait trop. Non seulement parce qu'il brouille les institutions, réduit ses ministres à faire de la figuration et, au passage, s'expose trop pour durer. Mais surtout parce que le président est menacé de glisser sur une pente dangereuse. Celle qui, à partir de l'attention légitime prêtée aux victimes, aux "vraies gens" et à leurs problèmes, conduit à la démagogie.

Anonyme a dit…

L'article du Télégramme de Brest sur l'enterrement du patron pécheur est un modéle du genre pour montrer l'indignation bretonne contre l'indescence de Sarko 1er

Citation :
La solennité parfois mise à mal

La symbolique du déplacement présidentiel, censé transmettre la compassion de la nation à une famille française, a été mise à mal, hier, par la « pipolisation » qui s’empare désormais de ce type d’événement. La loi du genre, diront les plus aguerris. Mais tout de même.

A peine le cortège présidentiel avait-il stoppé devant la mairie de Plouescat qu’une première salve d’applaudissements éclatait. Solennité ? Deuil d’une famille ? Plus tard. Une forêt de téléphones portables, de caméscopes disputent l’espace aux photographes professionnels, obligés de défendre leur territoire. Il faut ramener un cliché de Nicolas Sarkozy, bronzé comme un héros de sitcom. Les parents ont mis leurs enfants devant eux. Les touristes sont là aussi, de Compiègne et d’ailleurs.

De la peine à se contenir

Là où Jacques Chirac aurait probablement arboré un visage grave, Nicolas Sarkozy sourit volontiers, salue, serre quelques mains avant de rentrer dans la mairie. A sa sortie, Maud
Fontenoy, bronzage parfait et buste de Marianne, a éclipsé Michel Barnier devant les caméras.

Les quelques mètres que le président parcourt avec la navigatrice pour rejoindre l’entrée principale de l’église donne lieu à un bain de foule ahurissant. Dans leur sillage, les six marins rescapés passent inaperçus. Précipités dans l’eau il y a quelques jours, ils sont prisonniers du spectacle. Effondrés de chagrin, certains ont grand peine à se contenir devant tant d’indécence. Le recueillement reprendra ses droits, passé le parvis.

Des applaudissements

15 h 40 : Nicolas Sarkozy réapparaît par une porte, sur le côté de l’église. Sa sortie a été éventée par la présence des voitures du cortège. Nouveau bain de foule et applaudissements.

Une dame s’est postée près d’une Renault Velsatys, dans l’espoir qu’il s’agisse de la voiture présidentielle. Il s’engouffre dans une autre. Elle se désole.

Fin de citation