jeudi 30 octobre 2008

Histoire : Quand les politiques s’emmêle …

Jeudi 30 octobre 2008 :
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Les parlementaires ont la mauvaise habitude de se mêler de l’Histoire. Voilà que maintenant, le gouvernement veut faire pareil. Quand les politiques se mêlent de l’Histoire, ce n’est jamais bon. Nous allons bientôt pouvoir dire : « Vive l’Histoire officielle ! » et ne vous étonnez pas si cela vous rappelle quelque chose !
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Ainsi, nous avons eu successivement :
  • La loi Gayssot combattant le révisionnisme,
  • La loi Taubira reconnaissant la traite négrière,
  • La loi Masse reconnaissant le génocide arménien

Ces lois dite mémorielles partent souvent d'un bon sentiment mais elles ont en commun un effet pervers : elles se referment sur les chercheurs et les histoeriens comme autant de pièges en criminalisant le passé et en entravant le travail. Les éditeurs eux-même sont aussi les victimes de la perversion de ce systême.
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Pour exemple, la mésaventure arrivé en 2006 à l'historien et universitaire Olivier Pétré-Grenouilleau qui fut accusé de révisionnisme par le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais pour son livre « Traites négrières ». Son crime : étudier la traite des noirs et en publier le résultat. Le collectif, après sept mois de bataille judiciaire, retira finalement sa plainte mais l'historien, reconnu par ses pairs, sur le plan national comme international, pour l’excellence de son travail scientifique, fut transformé durant cette période en otage « politico-mémoriel ».
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Jusqu'à ce jour, la France est le seul pays démocratique à avoir imposé aux citoyens un tel corpus de lois «historiennes». Malheureusement, par la voix de certains élus, elle se vante de vouloir continuer. Et comme les encouragements proviennent de la plus haute marche de l'Etat, il est probable que nous ne sommes pas encore prêts à nous arrêter !
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Rappelez-vous les initiatives de Nicolas Sarkozy voulant imposer dans les écoles la lecture de la lettre de Guy Moquet, ou exprimant le souhait que chaque écolier porte la mémoire d'un enfant victime de la Shoah.
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Enfin, voici que le Parlement Européen de son côté avalise un projet de décision-cadre concernant tout « génocides, crimes de guerre à caractère raciste et crimes contre l'humanité »
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Et quand Xavier Darcos envisage purement et simplement que l'Assemblé Nationale fixe le programme d'histoire, je pense que l'Histoire est en danger : « Est-ce qu'il ne faudrait pas qu'une bonne fois pour toutes ce que nous considérons comme devant être enseigné aux élèves soit prescrit par la représentation nationale ? Nous n'aurions pas ces questions. (...) Evidemment on ne peut pas rentrer dans tous les détails. Mais on aurait au moins des grands sujets qui seraient reconnus une bonne fois pour toutes » a expliqué Xavier Darcos
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Dans un tel contexte, je ne peux que reproduire sur ce blog le point de vue de Pierre Nora, historien et académicien, sur le sujet :
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« Les historiens sont aujourd'hui appelés à se mobiliser contre l'ingérence du pouvoir politique dans le domaine de la recherche et de l'enseignement historiques et à s'insurger contre la multiplication des lois criminalisant le passé. C'est ce qui en avait motivé près d'un millier, depuis 2005, à se regrouper derrière René Rémond dans une association, Liberté pour l'Histoire.

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Ce combat a pris en 2007 une dimension européenne, avec un projet de décision-cadre adoptée par le Parlement européen en première lecture. Elle instaure pour tous les "génocides, crimes de guerre à caractère raciste et crimes contre l'humanité", un délit de "banalisation grossière", et même de "complicité de banalisation" passibles de peines d'emprisonnement, quelles que soient l'époque des crimes en cause et l'autorité (politique, administrative ou judiciaire) qui les a considérés comme établis. Mesure-t-on jusqu'où c'est aller ?

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La loi Gayssot, destinée en 1990 à lutter contre le négationnisme, avait créé, à propos des crimes contre l'humanité tels que définis au procès de Nuremberg, un délit de "contestation". Cette loi n'était nullement dirigée contre les historiens, mais, au contraire, contre les militants du mensonge historique. Elle a eu cependant un effet pervers : en déclenchant une émulation des groupes particuliers de mémoire qui revendiquaient pour eux-mêmes les protections que la loi Gayssot garantissait aux juifs, elle ouvrait la porte à une concurrence législative qui, elle, visait directement les historiens.

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C'est ainsi qu'il y a eu, en 1992, une réforme du code pénal introduisant deux nouvelles catégories de crimes, le "génocide" et le "crime contre l'humanité" autres que le crime nazi défini en 1945. Cette réforme a rendu possible les lois mémorielles ultérieures : celle de 2001 reconnaissant le "génocide" arménien de 1915 et, la même année, la loi Taubira qualifiant de crime contre l'humanité la traite et l'esclavage perpétrés à partir du XVe siècle par les nations occidentales. Sans parler de la loi Mekachera de 2005, portant "reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés" et flanquée du fameux article sur "le rôle positif de la présence française outre-mer", disposition finalement annulée en 2006 devant la levée de boucliers et l'intervention du président de la République.

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Avec ce projet de décision-cadre, hélas introduit par la France, on change carrément de registre.

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Il ne s'agit nullement de nier l'horreur et l'ampleur des crimes, ni la nécessité de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, plus urgente que jamais. Mais il faut bien comprendre qu'au nom des sentiments qui l'inspirent et des intentions qui l'animent, on est en train de nous fabriquer à échelle européenne et sur le modèle de la loi Gayssot une camisole qui contraint la recherche et paralyse l'initiative des enseignants.

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Au moment de la loi Gayssot, les survivants des victimes et les orphelins étaient sous nos yeux, et les auteurs des abominations encore bien vivants. Avec la loi Taubira, on remonte à cinq ou six siècles, et avec l'Arménie, à des crimes dans lesquels la France n'a aucune part. A quand la Vendée ? A quand la Saint-Barthélemy ? A quand les albigeois, les cathares, à quand les croisades ? C'est déjà fait pour Austerlitz, où, sur l'injonction du président de la République, en 2006, avaient été annulées les festivités du bicentenaire parce que venait d'être rappelé le rétablissement de l'esclavage en Haïti par Napoléon. C'est aussi déjà fait pour Corneille, dont le quatrième centenaire de la naissance a été mis en veilleuse parce qu'on lui avait découvert des parents qui avaient trempé dans le commerce triangulaire.

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Chacun peut comprendre qu'il ne s'agit aucunement pour les historiens de défendre on ne sait quel privilège corporatif ou de se barricader dans une approche scientifique du passé, insensibles à la souffrance humaine et aux plaies toujours ouvertes. Les historiens, de par leur rôle social et leurs responsabilités civiques, se trouvent être seulement en première ligne dans une affaire qui engage l'indépendance de l'esprit et les libertés démocratiques.
La notion de crime contre l'humanité est peut-être un progrès de la conscience universelle et une saine réaction devant des crimes imprescriptibles. Mais elle ne saurait s'appliquer rétroactivement ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan moral, ni, a fortiori, sur le plan juridique.

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C'est ce qui explique que des historiens et non des moindres qui, sur le moment, avaient été retenus de se joindre à nous dans la condamnation de toute forme de loi qualifiant le passé pour préserver la spécificité de la loi Gayssot, se joignent à nous aujourd'hui.

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C'est ce qui explique aussi la spontanéité avec laquelle des historiens de toute l'Europe, et au-delà, se sont tournés vers nous. Parce que si la France a le triste privilège d'être la première, et même la seule, à s'être lancée dans la répression législative en série de la négation des crimes de masse, nous avions, nous, l'antériorité d'une association qui se donnait pour but de faire reconnaître la liberté des enseignants et des chercheurs contre les interventions politiques et les pressions idéologiques de toute nature et origine. Des rassemblements du même type sont en voie de se constituer, en Italie, aux Pays-Bas, ou déjà constitués, comme, en Belgique, Pléthore de mémoire.

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Tout n'est peut-être pas perdu. Les responsables politiques à tous les niveaux ne paraissent pas sourds au message des historiens. Puissent-ils entendre celui que nous lançons ici ! »
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