mardi 18 novembre 2008

Commémorations à outrance ?

Mardi 18 novembre 2008 :

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Il y a environ une semaine, l'historien André Kaspi remettait au gouvernement un rapport de « réflexion sur la modernisation des commémorations publiques ». Ce rapport a soulevé avant même sa publication un certain tollé sous prétexte qu’il préconisait de « supprimer des commémorations ». Pourtant, même en lisant avec attention ce rapport, nulle trace de ces suppressions et je dois aussi avouer que je suis aussi plutôt en phase avec ce que ce rapport préconise.
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La commission commence par faire le constat que les cérémonies mémorielles nationales en France pour l'année 2008 sont au nombre de douze dont trois sujettes à jours fériés :
Dernier dimanche d'Avril : Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, (1954)
8 mai : Jour de l'armistice de la seconde guerre mondiale (1981)
10 mai : Célébration de l'abolition de l'esclavage (2001)
Deuxième dimanche de mai : Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme, (1920)
8 juin : Hommage aux morts de la guerre d'Indochine (2005)
17 juin : Hommage à Jean Moulins (Usage)
18 juin : Appel du général de Gaulle du 18 juin 1940 (2006)
14 juillet ; Fête nationale, pour la chute de la Bastille en 1789 (1880)
16 juillet : Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux «Justes» de France,(2000)
25 septembre : Hommage aux harkis (2003)
11 novembre, Jour de l'armistice de la première guerre mondiale (1922)
5 décembre : journée nationale d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, (2003)

Ce constat m'amène à faire deux remarques personnelles :
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Première remarque personnelle : Hormis deux anciennes commémorations (Prise de la Bastille et Fête de Jeanne d'Arc) et désormais le 11 novembre, ces commémorations concernent des événements récents auxquels des « survivants » sont garants de la mémoire. L'abolition de l'esclavage est un cas à part puisque l'on peut trouver encore de part le Monde des trafics d'esclaves. On ne trouve par contre nulle trace de grandes dates historiques comme les batailles d'Austerlitz ou d'Azincourt (A l'inverse des anglais qui continuent à célébrer la victoire de Trafalgar), Inversement, on ne trouve non plus nulle trace nationale des morts lors de campagnes récentes où la France a été engagée comme l'Égypte en 1956 ou le Liban en 1982 par exemple (A l'inverse des américains qui ont leur « Memorial Day » pour tous les morts américains de tous les conflits).
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Deuxième remarque personnelle : Pour certaines commémorations, les « variantes » locales voire internationale troublent le jeu de la mémoire. C'est encore pire pour l'une d'entre elle, la célébration de l'abolition de l'esclavage pour ne pas la nommer, où variante locale et internationale se croisent et s'entremêlent, rendant inaudible le message de mémoire.
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Nationalement, cette célébration a lieu le 10 mai mais elle se déroule… le 27 avril à Mayotte, le 22 mai en Martinique, 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, et le 20 décembre à La Réunion.
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Sans compter la
« Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition », lancé en 1998 par l'Unesco et qui elle se déroule le 23 aout.
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Dans ces conditions, comment intéresser les français à ses commémorations sachant que l'immense majorité des Français ne commémorent en fait rien du tout ?
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La commission fait, à mon avis, preuve de bon sens en proposant qu'il y ait trois dates qui soient placées au premier plan, les trois dates qui sont justement des jours fériés
« Le 8 mai parce que c'est la victoire sur le nazisme, le triomphe de la liberté et de la démocratie ;
Le 14 juillet parce que c'est la fête de la nation tout entière ;
Le 11 novembre parce que c'est la date où l'on peut commémorer les morts de la Grande Guerre, les morts des guerres qui ont suivi, et malheureusement, les morts des guerres à venir.
Les autres commémorations peuvent continuer à vivre leur vie sur le plan régional ou sur le plan international, ou encore en se regroupant quand elles correspondent à une seule et même période ».

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Il faut aussi faire l'effort de faire comprendre aux français l'importance et la signification. Une commémoration engage tout l'État et, dans cette optique, les hauts fonctionnaires doivent y assister. Mais elle doit aussi rassembler les citoyens et conforter la conscience nationale.
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Il ne faut surtout pas tomber dans la surenchère. Ces dernières années, il y a eut des demandes fortes auxquelles les pouvoirs publics n'ont pas su résister entrainant une multiplication par deux des commémorations nationales (six en 1999, douze cette année) qui diminue d’autant l'effet de chacune d'entre elle.
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Je rejoins pleinement les conclusions de la « Commission Kaspi » lorsqu'elle dit que « il faut limiter leur nombre pour donner aux principales la résonance qu'elles méritent. »
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Pour mémoire, les conclusions in-extenso de la commission :


« 1/ Les commémorations publiques ou nationales sont trop nombreuses. Elles atteignent aujourd’hui le nombre de 12, soit deux fois plus qu’en 1999. Leur nombre pourrait encore augmenter dans les années à venir. Ce qui entraîne une désaffection et une incompréhension de la part d’une très grande majorité de la population, un affaiblissement de la mémoire collective, des particularismes qui vont à l’encontre de l’unité nationale.
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2/ Trois dates devraient faire l’objet d’une commémoration nationale : le 11 novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur le nazisme et la barbarie, le 14 juillet qui exalte les valeurs de la Révolution française. Bien entendu, dans toute la mesure du possible, les commémorations nationales seront intégrées dans le processus de la construction européenne.
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3/ - Les autres dates ne seraient pas supprimées. Elles deviendraient des commémorations locales ou régionales. De temps à autre, elles revêtiraient un aspect exceptionnel, comme ce fut le cas en 2004 pour les débarquements alliés de 1944.
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4/ Il ne suffit pas d’exprimer des exigences à l’égard de l'Éducation nationale et des médias. Il faut inventer des formes nouvelles de commémoration, qui contribueront à transmettre la mémoire des grands événements de notre histoire. De là, un effort particulier dans plusieurs directions :
  • Donner une plus forte ampleur au tourisme de mémoire, qui offre la possibilité de visiter des lieux historiques, de rassembler sur le plan national et sur le plan international,
  • Inciter les établissements scolaires à mettre au point des projets pédagogiques, qui ne seront pas limités à la date commémorée, mais permettront une réflexion approfondie sur sa signification,
  • Préparer à l’intention de la presse écrite, de la presse radio - télévisée et électronique des programmes, des événements qui retiennent l’attention des lecteurs et des téléspectateurs.

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5/ Ne pas tout attendre de l'État central. Les collectivités territoriales doivent tenir une place primordiale. C’est d’elles que partiront les initiatives les plus novatrices. C’est elles qui mettront sur pied des journées de la mémoire, adaptées aux lieux. Chacune d’elles peut apporter sa contribution à la sauvegarde de la mémoire nationale. »

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