lundi 1 août 2011

1935 : L’affaire MALMEJAC – Partie 4 – La piste de Saint-Just

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Lundi 1 aout 2011 :
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Tous les lundis, durant cet été 2011, je vais explorer les méandres d’une affaire qui a bouleversé une longue semaine la ville de Marseille, et au-delà, la France entière : « l’affaire MALMEJAC » ou l’enlèvement d’un enfant en plein jour et au cœur même de la cité phocéenne.
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Ordre des publications :

Lundi 4 juillet 2011 : Présentation
Lundi 11 juillet 2011 : L’Enlèvement
Lundi 18 juillet 2011 : Premières recherches
Lundi 25 juillet 2011 : La piste d’Endoumes
Lundi 1er aout 2011 : La piste de Saint-Just
Lundi 8 aout 2011 : Les médias s’en mêlent
Lundi 15 aout 2011 : Le Boulevard des Fauvettes
Lundi 22 aout 2011 : Devant la justice
Lundi 29 aout 2011 : Conclusion
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I / La piste de Saint-Just :

Après l’échec des recherches dans le quartier d’Endoume, les enquêteurs cherchent à sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Malheureusement, tous les témoignages intéressants recueillis le premier jour ont été approfondis sans réellement apporter un jour nouveau aux recherches. En terme clair, l’enquête piétine.

Les policiers en sont donc réduits à vérifier la moindre piste, le moindre témoignage, même le plus farfelu, même s’il colporte une simple rumeur. Désormais, ce n’est plus seulement Marseille qui a vu la ravisseuse mais bel et bien toute la région. De surcroît, cette foison de témoignage disperse les efforts de la police. Celle-ci se doit de tout vérifier pour éviter de laisser passer le bon renseignement.

Dans ce contexte, le premier témoignage que les enquêteurs retiennent est celui d’un enfant de treize ans. Il affirme avec force avoir vu entrer une vieille femme vêtue de noir dans une maison depuis longtemps inoccupée dans le quartier de Saint-Just. Précision troublante donnée par l’adolescent, l’inconnue ne serait jamais ressortie de cette maison. Forcé de question par les enquêteurs, il précise que la vieille femme ressemble étrangement au portrait diffusé par la presse locale.

Les policiers se rendent donc à Saint-Just et constate de visu l’existence de la maison incriminée comme l’a indiqué l’adolescent. Toutefois elle semble belle et bien abandonnée. Un rapide examen extérieur leur fait dire que cet abandon est récent. Malgré les efforts des policiers, personne ne répond lorsqu’ils frappent à la porte. Cette absence de réponse bloque les policiers. Ils ne peuvent pénétrer dans la bâtisse sans l’accord du propriétaire.

Une rapide vérification auprès des services du cadastre leur apprend que le dit propriétaire habite désormais à la rue Estelle. Un rapide aller/retour dans le centre ville leur permet de ramener l’homme qui ne comprend pas trop ce qu’il lui arrive. Lorsqu’il a acheté l’appartement de la rue Estelle, il a quitté Saint-Just définitivement. Depuis trois mois, la maison est inoccupée. Il ne comprend donc pas qui peut être cette inconnue qui habite apparemment chez lui.

Lorsque les policiers, en compagnie du propriétaire, pénètrent enfin dans la bâtisse en fin d’après-midi, il faut se rendre à l’évidence : l’inconnue n’est pas là. Elle n’a pas attendue la Police pour prendre la fuite. C’est du moins la première constatation qu’en tirent les enquêteurs. Mais une perquisition plus poussée amène rapidement une autre conclusion : personne n’a pénétré dans ces locaux depuis que le propriétaire en est parti. Il s’agit donc encore d’une fausse piste.

II / Les autres piste :

A l’Evêché, les policiers se rendent compte que les témoignages tournent à l’hallucination collective. Tout le monde a vu la ravisseuse.

Ainsi, parmi les nombreuses pistes que les enquêteurs vont être amenés à vérifier ce samedi là, il y a celle que leur apporte le correspondant local du « Petit Marseillais » à Toulon. Il signale qu’une inconnue a défrayé la chronique de la cité portuaire quelques semaines auparavant. Victime de cleptomanie, elle volait des livres chez les libraires de l’agglomération. Bien entendu, son signalement correspondait très exactement au signalement de la ravisseuse publiée par la police marseillaise. Prévenu par leurs collègues de l’Evêché, les policiers toulonnais vont vérifier avec minutie cette piste. Sans succès puisque la suspecte est dûment contrôlée à son domicile varois sans que le moindre enfant ne s’y trouve. De surcroit, elle est en mesure de produire un solide alibi pour l’après-midi de l’enlèvement. Encore une piste qui s’effondre.

Un autre témoin, digne de foi lui aussi, pécheur de son état, affirme de son côté avoir reconnu le petit Claude Malmejac à Porquerolles. Il séjournerait dans la maison d’un pécheur local. Le témoin pousse même la complaisance à donner le nom et l’adresse exacte du ravisseur supposé. Seule ombre au tableau : à aucun moment, le témoin n’a vu la ravisseuse. Il n’a aperçu que l’enfant.

Là encore, la Sûreté de Toulon va vérifier l’information, avec un peu de difficulté car, à l’époque, l’île de Porquerolles est mal desservie au départ du continent. Lorsque les policiers frappent à la porte de la fameuse maison, c’est pour constater qu’aucun enfant ne s’y trouve. Par contre, ils comprennent rapidement qu’un lourd consensus provoqué par la répartition des zones de pêche existe entre le dénonciateur et le dénoncé. Voilà une affaire qui ne va pas arranger les relations entre les deux hommes.

Alors que la piste de Porquerolles est en train de se révéler fausse comme les autres, les enquêteurs marseillais voient arriver dans leurs locaux un vauclusien qui se présente comme le sauveur de l’enquête. A l’inverse des dizaines de personnes se pressant dans les locaux de la Sûreté, il n’a même pas entre aperçu l’enfant enlevé. Par contre, il apporte une information qu’il juge capitale et qui, si elle se révèle exacte, pourrait orienter l’enquête sur une tout autre piste.

En effet, notre homme se souvient d’avoir lu, quelques semaines auparavant, dans un quotidien local, une petite annonce un peu particulière. Quelqu’un rechercherait un enfant de dix huit mois pour toucher un héritage assez conséquent. D’après ses souvenirs, l’annonce se présenterait sous cette forme :

« Enfant de dix-huit mois recherché pour gros héritage »

Notre vauclusien, par contre, ne se souvient plus dans quel quotidien il l’a lu. Si cette piste se révèle sérieuse, l’enlèvement ne serait plus l’œuvre d’un malade ou d’un criminel à la recherche d’argent facile bien que l’appât du gain en soit le mobile. Il donnerait espoir aux policiers de retrouver l’enfant assez rapidement grâce au journal dans lequel l’annonce a été publiée en permettant de savoir qui a passé l’annonce et aux études de notaire pour connaître les héritages en cours.

Les enquêteurs vont donc, durant de très longues heures, épaulés par les pigistes de presse, éplucher les journaux locaux et les éditions vauclusiennes des autres quotidiens, parus ces quatre dernières semaines. Ils veulent retrouver la fameuse annonce.

Malheureusement, à la nuit tombée, il faut se rendre à l’évidence. La fameuse annonce n’a pas été trouvée. Cette piste était aussi une fausse piste.

III/ Le témoignage de Catherine Juan :

Alors que la police désespère devant tous ces témoignages plus farfelus les uns que les autres, une déposition en provenance d’Alger va jeter un éclairage nouveau sur l’enlèvement.

En effet, une jeune fille vient de se présenter à la police de la ville d’Alger pour donner quelques renseignements dont elle pense qu’ils pourraient intéresser au plus haut point les enquêteurs marseillais.

La jeune fille se nomme Catherine Juan. Elle est employée comme domestique par Madame Sarlande, grand-mère maternelle de Madame Malmejac. Madame Sarlande habite le même immeuble que sa petite-fille et Catherine Juan y travaille aussi.

Catherine Juan, en vacances, chez son frère au Voux Kouba, près d’Alger, vient d’apprendre la dramatique nouvelle. Elle a immédiatement fait le rapprochement avec un étrange incident s’étant déroulé à Marseille quelques semaines auparavant, durant l’été 1935.

"Je suis employée chez madame Sarlande, dans le même immeuble que les époux Malmejac. Vers la mi-juin, alors que le professeur se trouvait en congé à Chamonix avec sa famille, une dame en noir a demandé quelques renseignements sur la personnalité de monsieur Malmejac. D’où venait-il ? Dans quelle ville il avait fait ses études ? Si dans sa famille n’habitait pas une personne étrangère ?"

Étant donné que la concierge n'a pu fournir les renseignements demandés, l'inconnue s'est adressée à la domestique de Mme Sarlande. Elle lui a alors proposé de l'argent pour obtenir des réponses à ses questions.

Catherine Juan, soupçonneuse, a donné une fin de non-recevoir à l'inconnue et lorsque le docteur fut revenu de Chamonix, elle le prévint de l'étrange visite. Mais le docteur ne s'inquiéta point et laissa l'histoire en l'état.

« Je ne puis m’empêcher de croire qu’une corrélation existe entre cette visiteuse indiscrète et la femme qui enleva le petit Claude car toutes deux étaient vêtues de noir. » conclut Catherine Juan.

Ce témoignage apporte la preuve au policier que l’enlèvement était prévu de longue date et écarte un peu plus l’idée d’un enlèvement perpétré par une malade mentale.

IV/ Les lettres anonymes :

Une des premières caractéristiques de cette journée est le nombre impressionnant de lettres anonymes reçues par les Malmejac Dans ce flot, beaucoup sont des demandes de rançons, pour la plupart fantaisiste Celles qui peuvent être jugées plus sérieuses ne se rapprochent toutefois aucunement de celles reçues la veille, aussi bien par le style que par l’écriture

Pour les enquêteurs, il ne fait aucun doute que toutes ces lettres sont l’œuvre de malades mentaux Mais pour les Malmejac, un doute insidieux s’installe. Si dans ce fatras nauséabond, une missive des vrais ravisseurs s’était glissée ? Si une de ces lettres contenait la solution de l‘énigme ? Comment ne pas se tromper ? Comment ne pas l’ignorer ?

Le docteur Malmejac s’ouvre de ses doutes à un homme qui le soutient depuis le début de l’épreuve. Ce n’est ni un psychologue ni un policier, mais un journaliste : Léon Bancal, le rédacteur en chef du puissant quotidien régional « Le Petit Marseillais». Ce journaliste, rompu à faire face à toutes les situations, lui conseille alors de demander à la ravisseuse la preuve indéniable qu’elle détient bien l’enfant. La chaînette en or que l’enfant portait autour du cou au moment de l’enlèvement serait une bonne preuve.

Devant le désarroi et la douleur des parents, Léon Bancal renouvelle aussi une autre promesse faite dès le premier jour. Au nom de toute la presse locale, il s’engage à ce que l’existence des lettres et des demandes de rançon reçues dès le premier jour, ne soit pas révélée sans l’autorisation de la famille. Il sait que ses confrères, conscient de l’enjeu, ne publieront rien qui puisse compromettre la vie de l’enfant.

Pourtant, ce jour là, toute la presse marseillaise est au courant que le « Petit Marseillais », dans son édition du jour, vient de publier une annonce apparemment anodine, sous la rubrique « Annonces classées » Elle porte la référence « Havas 5305 » et se trouve positionnée en troisième position dans la sous-rubrique « demande d’emploi ». C’est le texte exact réclamé par la ravisseuse dans sa première lettre :

« Disposons de 50.000 francs
Cherche emploi intéressant
Havas – 5305 »

Par cette publication, les Malmejac acceptent de négocier avec la ravisseuse.

Toutefois, la presse marseillaise se trouve confrontée à un dilemme. Elle ne peut pas passer entièrement sous silence l’existence de ces dizaines de lettres reçues au domicile des Malmejac. Elle se doit de dénoncer le coté malsain de la chose et tenter ainsi d’arrêter ce torrent de boue.

Aussi, tous les journaux locaux, du « Petit marseillais » à « Marseille-matin » en passant par le « Petit-provençal » ou « Rouge-Midi » vont vilipender les auteurs de ces lettres, dénonçant le caractère malsain de la chose. Au passage, journalisme oblige, plusieurs d’entre eux vont citer comme exemple la fameuse lettre reçue le lendemain du rapt mais tous précisent en titre de « Une » : « Les parents éplorés ont reçu plusieurs lettres qui n’ont apporté aucun éclaircissement »

V/ L’appel au détective privé :

Dès le 30 novembre 1935, la situation du docteur Malmejac était devenue infernale. En effet, la police, la presse, la foule le traquaient sans relâche. Les indiscrétions de la presse parisienne l'avait amené à se méfier de tous et de toutes. La moindre erreur pouvait condamner le petit Claude et le père en avait pleinement conscience.

Ainsi s'en ouvrit-il à Léon Bancal et Marcel de Renzie, rédacteur en chef et journaliste du "Petit marseillais" : "De grâce, laissez-moi parler et crier ma douleur. Je n'en puis plus. Partout, je dois composer mon visage, chez moi où les miens sont dans le désespoir. Dans la rue, partout, tout le monde guette mon passage et toute indiscrétion peut-être désastreuse. La police est d'un dévouement inouïe mais son action risque de provoquer la catastrophe. Une seule chose compte pour moi : Claude. Qu'on me comprenne et qu'on admette que pour moi, peu importe que des assassins demeurent ou non impunis pourvu que Claude vive !"

Dans ce contexte, il lui était impossible de remettre la moindre rançon, le risque d'être reconnu étant trop grand. Cette crainte était augmentée par la dernière missive reçue qui précise : "Venez seul. Tout serait à craindre si vous étiez suivi !"

Il ne restait qu'une seule chose à faire : Appeler un homme sûr et expérimenté. Après avoir consulté quelques proches, le choix est évident. Il fallait faire appel au célèbre détective privé genevois Rochat et à sa non moins célèbre chienne Zita.

Sur appel téléphonique du docteur Malmejac, le détective Rochat promit sa collaboration la plus complète et bondit dans le premier train en partance pour Marseille.

VI / La lettre des parents :

Parallèlement à toute cette agitation, le professeur Malmejac ne veut laisser de coter aucune action qui puisse entraver ou ralentir la libération de son fils. Il est prêt à toutes les tentatives, comme nous venons le voir avec l’appel au détective privé. Pour cela, il est prêt à jouer la carte du sentimentalisme en faisant directement appel au cœur de la ravisseuse.

Il rencontre donc celui qui, depuis le début de l’épreuve, est devenu son ami, le rédacteur en chef du « Petit-Marseillais », Léon Bancal. Il lui remet une lettre émouvante, en lui demandant de la publier dans l’édition du lendemain du quotidien.

Cette demande n’est pas fortuite. Outre les liens d’amitié existant entre les deux hommes ; le professeur Malmejac sait que la ravisseuse lit le « Petit Marseillais ». Il est donc assuré de la toucher. Même si le résultat est incertain, la tentative a le mérite d’exister.

Monsieur le directeur

Excusez-moi de vous demander d'insérer cette lettre : c'est pour nous, Madame Malmejac et moi, le seul moyen de risquer de toucher ceux ou celles qui, dans un moment d'aberration, ont pu accomplir cet acte épouvantable qu'est l'enlèvement de notre cher petit Claude.

Nous ne pouvons croire que cette ou ces personnes manquent complètement de cœur. Nous les supplions non seulement de prendre bien soin de notre cher fils mais de nous le ramener, de le rendre à sa famille absolument atterrée. Nous sommes prêts à remettre une certaine somme aussi discrètement qu'on le désirera.

Mais c'est à l'homme ou à la femme, à leur cœur, que nous nous adressons, espérant qu'ils comprendront et voudront bien abréger ce supplice odieux qui nous est si cruellement imposé.

S.Malmejac
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La suite la semaine prochaine
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