lundi 29 août 2011

1935 : L’affaire MALMEJAC – Partie 8 – Derniers rebondissements …

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Lundi 29 aout 2011 :
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Tous les lundis, durant cet été 2011, je vais explorer les méandres d’une affaire qui a bouleversé une longue semaine la ville de Marseille, et au-delà, la France entière : « l’affaire MALMEJAC » ou l’enlèvement d’un enfant en plein jour et au cœur même de la cité phocéenne.
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Ordre des publications :

Lundi 4 juillet 2011 : Présentation
Lundi 11 juillet 2011 : L’Enlèvement
Lundi 18 juillet 2011 : Premières recherches
Lundi 25 juillet 2011 : La piste d’Endoumes
Lundi 1er aout 2011 : La piste de Saint-Just
Lundi 8 aout 2011 : Les médias s’en mêlent
Lundi 15 aout 2011 : Le Boulevard des Fauvettes
Lundi 22 aout 2011 : Devant la justice
Lundi 29 aout 2011 : Un dernier rebondissement
Lundi 5 septembre 2011 : Conclusion

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I / Gilbert et Marie Rolland ou André et Marie Clément ?

A la Sureté Marseillaise, le 3 décembre 1935 débute par un coup de théâtre inattendu avec un coup de téléphone en provenance de Rouen. En effet, Mr Cabanne, commissaire central à Rouen, appelait Mr Couplet, Chef de la Sureté à Marseille pour lui faire d’une bien curieuse histoire.

Ayant eu en lisant la presse, les photographies des ravisseurs, deux policiers rouennais, l’inspecteur chef de la Sureté Dorival et l’inspecteur Deveaux, qui en janvier 1934 avaient enquêté de concert sur une affaire d’extorsion de fonds et de faux et usage de faux, étaient sûr de les avoirs reconnus. Il s’agirait des deux fuyards recherchés dans cette affaire. Seul problème, les deux fugitifs ne s’appellent pas Gilbert et Marie Rolland mais Gustave André Clément et Eugénie Marie Carvin.

D’après la Sureté de Rouen, un mandat d’arrêt a été lancé par le juge d’instruction Tasniere en charge d’enquêter sur un détournement de fond effectué à l’encontre de la société de transit Paloumé-Lafresne, pas moins de 125000 francs qu’auraient empoché la mère et le fils, employé dans la société comme commis. Ils auraient détourné et encaissé deux chèques à la fin de l’année 1933, la société s’apercevant du détournement que le 19 janvier 1934. André Clément aurait aussi détourné 1500 francs du service de la voirie de Dieppe où il travaillait mais cette affaire a été classée sans suite après le retrait de la plainte de la mairie concernée.

D’après les renseignements complémentaires fournis par les services rouennais, Marie Carvin aurait divorcé au début des années vingt d’Edmond Clément, un capitaine au long cours respecté sur la place rouennaise. De cette union, elle aurait eu un fils, André, né le 8 avril 1909.

II/ La véritable identité des ravisseurs

Convoqué de nouveau devant le juge d’instructions en début d’après-midi, les deux prévenus commencent par nier farouchement être ce que la Sureté de Rouen affirme. Il aurait pu réussir à tromper le juge si celui-ci n’avait pas eu entre les mains le livret militaire d’André Clément trouvé le matin même dans la villa du boulevard des Fauvettes lors d’une fouille méthodique effectuée par la police marseillaise.

Après de nouvelles dénégations, le ravisseur ne peut que reconnaître la vérité : il est bel et bien André Clément, recherché par la justice pour détournement de fond.

Les ravisseurs du petit Claude Malmejac sont donc André Clément, né le 8 avril 1909 à Dieppe et Marie Carvin, née le 4 septembre 1867 à la Roche-sur-Yon.

III/ La première affaire de la Mairie de Dieppe

En 1925, Edmond Clément fit entrer au service des concessions des cimetières de la mairie de Dieppe sont fils âgé alors de seize ans. Celui-ci resta trois mois dans ce service avant de disparaître du jour au lendemain. Il ne fallut pas longtemps au chef de service pour s’apercevoir que le fond de roulement du service, en l’occurrence 1500 francs, avait disparu.

Le lendemain de la disparition de l’argent, le maire de Dieppe reçut un courrier de la part d’André Clément. Celui-ci expliquait sans détour avoir détourné l’argent pour « compenser me salaire que la mairie aurait du normalement [lui] verser ».

La mairie décida alors de porter plainte pour récupérer son dû mais l’affaire n’alla pas bien loin. Dès qu’il fut avisé des malversations de son fils, plaidant l’erreur de jeunesse, son père remboursa rubis sur l’ongle la somme détournée mais demanda en contrepartie que la mairie retirasse sa plainte.

Chose fut faite et le dossier classé.

IV/ L’affaire Paloumé-Lafresne

André Clément a travaillé durant six ans pour le compte de la maison de transit Paloumé-Lafresne, 44 quai Gaston Boulay à Rouen. Il habitait alors au 91 rue des Carmes en compagnie de sa mère où il louait un meublé de deux pièces à Mme Phyil.

Il avait la pleine confiance de ses employeurs qui l'avaient plus spécialement chargé de porter les chèques de la maison à la banque proche.

Le 28 novembre 1933, André Clément disparut subitement sans se faire payer son mois. En examinant la comptabilité de la société, les dirigeants découvrirent que le jeune employé s'était fait verser 125.000 francs en échange de faux chèques qu'il avait lui-même fabriqué.

L'Inspecteur Chef de la Sûreté Dorival et l'inspecteur Devaux enquêtèrent sur cette affaire et c'est en vain que la police le rechercha de partout en France, de Bordeaux à Marseille, aussi bien qu'en Belgique, à Bruxelles. Cette précision est bizarre. Pourquoi le chercher à Bruxelles et non à Londres ou à Anvers par exemple ? Pour Bordeaux, cela s'explique par le cheminement de sa mère. Quant à Marseille, la réputation de la ville a pu suffire. Mais Bruxelles ?

La Cour d'Assise de la Seine-Inférieure le jugea et le condamna à vingt ans de travaux forcés par contumace.

A Rouen, André Clément et sa mère laissèrent une bonne impression, une impression de gens très honnêtes. Le jeune homme avait été jugé comme très intelligent par ses employeurs mais trouvé son caractère très renfermé. En effet, de tous les témoignages, il ressort qu’André Clément parlait peu.

Les employés de la maison de transit, découvrant le visage des ravisseurs dans la presse parisienne trouvèrent une étrange ressemblance entre "Gilbert Rolland" et "André Clément". Ils s'en ouvrirent à leur directeur, Mr Lafresne, qui alla aussitôt voir le Procureur de la République.

Au même moment, les deux inspecteurs en charge de l'enquête de novembre 1933 virent les même photos et eut aussi trouvèrent une étrange ressemblance entre "Gilbert Rolland" et "André Clément". Leur curiosité fut encore plus en éveil quand ils constatèrent que les dates de naissance des deux suspects (Celui de Rouen et celui de Marseille) étaient les mêmes. Ils s'ouvrirent de leurs soupçons au Chef de la Sûreté de Rouen, Mr Cabannes qui recevait au même moment les mêmes soupçons de la part du Procureur de la République.

On connaît la suite.

V/ Déclaration de Mr Lafresne, directeur de la maison de transit, au Petit Marseillais :

André Clément a été à mon service durant six ans. Il avait toujours donné satisfaction et nous avions pleinement confiance en lui quand soudain il disparut à la fin du mois de novembre 1933.

Nous nous demandèrent pourquoi cet employé, intelligent mais très renfermé, avait pris cette décision inattendue de disparaître sans même demander le règlement de son mois.

Nous l'apprîmes en consultant notre comptabilité. André Clément, qui était chargé de porter les chèques à la banque, en avait falsifié deux en imitant la signature de mon fondé de pouvoir et s'état ainsi fait remettre cent vingt cinq mille francs. C'est en vain que depuis deux ans la police le recherchait aussi bien à Bordeaux qu'à Marseille ou à Bruxelles.

Je suis particulièrement heureux que, grâce à une photo de journal, nous ayons pu identifier celui qui nous vola il y a deux ans.

Je suis surtout content d'avoir pu découvrir la véritable identité de celui qui, à mon avis, a été l'instigateur de l'odieux rapt du petit Claude Malmejac.

VI/ L’affaire Nessim Samama

L'arrestation des ravisseurs du petit Claude Malmejac permis à la Sûreté de rouvrir un de ses dossiers qui allait être classé : "l'affaire Nessim Samama." Cette affaire traite le cas de l'agression d'un avocat suivi d'une tentative de chantage.

La victime est un riche tunisien installé de longue date à Marseille, Nessim Samama, avocat conseil âgé de soixante neuf ans et dont les bureaux sont installés au 31 rue Saint Basile.

Maitre Samama reçut entre le 12 et le 15 septembre 1935 la visite à son bureau d'un jeune homme à l'accent parisien prononcé. Celui-ci venait le voir à propos d'un écriteau qu'il avait vu sur une villa située au 105 promenade de la plage :

Villa à louer
S’adresser à Monsieur Samama
31 rue Saint Basile

Dans les années trente, les petites annonces pour la location était très peu répandue et les pages d'annonces classées peu développées dans les journaux. A titre d'exemple, une demi page dans le Petit Marseillais, et rien dans le Petit Provençal.

Le visiteur déclara s'appeler Isnard et habiter actuellement au Boulevard Baille. Il se déclara intéressé et demanda à la visiter, ayant l'intention de la louer pour sa mère et sa sœur demeurant à Paris et devant venir s'installer à Marseille sous peu.

Au cours de l'après-midi du même jour, monsieur Samama fit visiter la villa au jeune homme qui réserva sa réponse, attendant de connaître la réponse définitive de sa mère à qui il se proposait d'écrire le jour même.

L'avocat reçut des nouvelles de son visiteur quelques jours plus tard, en l'occurrence le 19 septembre 1935 par le biais d'un appel téléphonique d'une femme. La correspondante se présenta comme étant la mère de Mr Isnard et fixa rendez-vous à l'avocat le lendemain, à dix heures très précises, devant la villa.

VII/ L'agression de Monsieur Samama

Le 20 septembre 1935, l'avocat fut exact au rendez-vous devant les grilles de sa villa mais personne ne s'y trouvait. Troublé, l'avocat pénétra dans le jardin puis dans la villa pour attendre sa visiteuse. Il se trouvait dans le fumoir depuis quelques minutes lorsque soudain le jeune homme de la semaine précédente fit irruption dans la pièce, un revolver à la main.

" Pas un geste, pas un mot où je vous brûle !"

Terrorisé, Mr Samama s'affala dans un fauteuil proche

"Non ! Levez-vous. Marchez devant ! Ne vous retournez pas ! Montez au premier, dans le hall ! "

Monsieur Samama obéit et quand ils eurent atteint le palier du premier étage, le jeune homme expliqua : "Vous avez fait perdre à ma famille, comme avocat-conseil, plus de cent cinquante mille francs. Vous allez me signer un chèque de vingt cinq mille francs !

- Mais je n'ai pas de carnet de chèque sur moi !

- Qu'à cela ne tienne. Vous allez écrire un mot à l'adresse de votre dactylo pour qu'elle vous en fasse parvenir un tout de suite.

- Mais, je n'ai pas l'argent en banque !

- Comment, vous venez d'acheter une villa de trois cent mille francs et vous prétendez que vous n'avez pas d'argent ?"

Mais l'agresseur parut décontenancé par les réponses et l'attitude de l'avocat. Changeant finalement de tactique, il lui demanda de vider ses poches.

L'avocat s'exécuta et remit à son agresseur quatre cent cinquante francs en liquide, sa montre en or de marque suisse et d'une valeur de cinq mille francs, la giletière et la bourse en argent contenant soixante francs en monnaie. L'avocat tenta un coup de bluff :

"Je voudrais bien garder ma montre, j'y tiens beaucoup !

Elle vous sera rendue dans trois jours si dans ce laps de temps vous ne portez pas plainte".

L'agresseur fit alors monter l'avocat dans une chambre de bonne.

"Restez là où je vous tue !

- Mais vous ne m'avez pas laissé un sou !

- Voilà dix francs pour votre taxi !"

Laissant l'avocat enfermé dans la chambre de bonne, l'agresseur prit la fuite.

Au bout d'un quart d'heure, sûr que son agresseur était parti, l'avocat se libéra puis téléphona à son gendre avant d'alerter la police.

La Sûreté ouvrit alors une enquête mais ne trouva aucun Isnard à l'adresse donnée du boulevard Baille.

VIII/ Le chantage de Monsieur Samama

Le 21 septembre 1935, soit le lendemain de l'agression, Mr Samama trouva un billet dans sa boite aux lettres, billet écrit au crayon.

La montre vous sera restituée contre mille huit cent francs que vous devez me verser si vous insérez dans le Petit Marseillais l'annonce suivante :
"Perdu montre en or quartier du Prado.
Récompense 1800 francs.
Rapporter à l'adresse …"

Il faut que votre réponse paraisse avant mercredi.

On peut constater que déjà André Clément employait un procédé qui sera le sien lors de l'enlèvement.

Mr Samama inséra l'annonce sur les conseils de Mr Couplet, Chef de la Sûreté qui avait pris toutes les dispositions nécessaires pour mettre la main sur le jeun bandit.

Au rendez-vous fixé en pleine rue, un gamin s'approcha de l'avocat et lui remit la montre. Immédiatement, un policier bondit sur l'enfant et l'appréhenda. Celui-ci se défendit avec toute la conviction de la bonne foi :

"C'est un monsieur qui m'a remis cette montre, place Alexandre Labadie, et qui m'a dit de me trouver ici !"

En réalité, André Clément flairant le piège, suivit le gamin de loin et prit la fuite en voyant la police intervenir.

IX/ Les aveux de André Clément concernant l’affaire Samama

Lorsque l'agresseur passa aux aveux de l'enlèvement du petit Claude Malmejac, il avoua aussi cette agression après un long interrogatoire du juge d'instruction Mimard. Toutefois, il précisa plusieurs fois que sa mère n'était pas du tout impliquée dans cette affaire.

A la question du juge faisant remarquer qu'une femme avait téléphoné à l'avocat, il se contenta de dire qu'il avait imité une voix de femme en téléphonant !

X/ Le courroux de la presse et de la population

La presse dans son ensemble, qu’elle soit locale ou nationale, de droite comme de gauche, crie au scandale et réclame une révision urgente du code pénal. En effet, cet enlèvement a bouleversé le pays au plus haut point et la population, la « vox populi » veut que ces criminels qui se sont attaqués à un jeune enfant soient sévèrement punis.

Hors, l’article 345 du code pénal concernant « les coupables d’enlèvement, de recel ou de suppression d’enfant », ne prévoit que des peines de réclusion ne pouvant excéder dix ans. Si les circonstances atténuantes peuvent être avancées, cette peine est ramenée à cinq ans.

La population ne comprend pas que pour d’autres crimes jugés par elle moins grave, les travaux forcés (au bagne de Cayenne) soient la peine et que pour un crime d’enfant seulement la prison ne punisse le coupable. D’autant plus que la concomitance des événements permet ce type de parallèle puisqu’un faux monnayeur coupable d’avoir contrefait des pièces de dix francs a été condamné le 30 novembre 1935 aux travaux forcés à perpétuité.

XI/ Conclusion provisoire

Cette affaire toucha au plus profond de ses fibres la vieille cité phocéenne. Non seulement on avait touché à l’un de ses enfants mais en plus c’était pour une raison sordide : l’argent. Et cela était totalement inadmissible pour une population ou l’enfant est le centre de tout.

C’est pour cette raison que la ville entière se mobilisa pour retrouver Claude Malmejac et que l’on vit une association improbable pour le retrouver : la police et le grand banditisme réunis dans la recherche de la vérité !

Nous verrons la semaine prochaine, dans les conclusions définitives, toutes les conséquences de cette affaire à la fois sur notre justice et sur l’opinion publique ainsi que le procès qui se déroula moins d’un an après.
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La suite et fin de cette histoire la semaine prochaine
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