jeudi 4 août 2011

"Le nucléaire n'est pas l'avenir énergétique de la planète!" Partie II

.
Jeudi 2 aout 2011 :
.
Sortie progressive du nucléaire, développement des énergies renouvelables et maîtrise de la consommation : pour Jean-Luc Bennahmias, député européen et membre du Shadow cabinet, le "mix énergétique" est "indispensable et créateur d'emplois". Il l'exprime dans une tribune publiée le 30 juillet 2011 sur le site d'information Mediapart.
.
.
Partie II – Pour la partie I, voir le texte du mardi 2 aout 2011,
.
Vers un mix de production énergétique

C'est la direction que prennent nos voisins européens, Allemands, Italiens, Suisses, mais aussi Anglais: le Royaume-Uni s'engage dans un système énergétique moins intense en carbone - un mix reposant sur le nucléaire et le renouvelable. Il est grand temps qu'en France, nous ayons un sursaut en faveur des énergies renouvelables. C'est encore loin d'être le cas si on en juge par les revirements politiques, notamment sur le photovoltaïque et l'éolien. La méthode Coué employée par les pro-nucléaires peut faire illusion en France, mais plus ailleurs ! La Chine et Taiwan produisent aujourd'hui la plupart des panneaux photovoltaïques vendus au niveau mondial. La Chine - qui par ailleurs il est vrai a de nombreux projets de construction de réacteurs nucléaires - est aussi le leader mondial de l'installation de parcs éoliens. Soyons lucides, personne ne nous attendra dans cette compétition qui s'engage.

Le mix énergétique, c'est le mix de la production: réduire la part de l'énergie nucléaire et augmenter celle de l'éolien, du solaire, de l'hydroélectricité. Alors que pour le moment, notre production électrique reste largement dominée par le nucléaire (à près de 75 pour cent), les énergies renouvelables n'en représentent que 15 pour cent : l'hydroélectricité (12,4 pour cent) y domine largement tandis que l'éolien n'atteint pas 2 pour cent et que le photovoltaïque est pratiquement inexistant (0,1 pour cent). La marge de progression est donc colossale. Pour valoriser le potentiel de toutes les différentes énergies renouvelables, y compris la biomasse et la géothermie, il est indispensable que nous ayons aussi un mix de la recherche sur l'énergie. Notre budget recherche reste aujourd'hui presque exclusivement consacré au nucléaire. Nous devons le diversifier pour baisser à 50 pour cent la part du budget dévolue au nucléaire (fission et fusion inclues). C'est pour cette raison que je suis d'avis que pas un euro de plus ne devrait être accordé à ITER : d'accord pour la recherche nucléaire, à la fois fusion et fission, mais elle doit se faire à budget constant pour laisser la place à la diversification. Les Allemands sont, à ce sujet, déjà loin devant nous. Cela fait plus de dix ans qu'ils ont fait de la recherche sur les énergies renouvelables une priorité: en 2011 le budget a augmenté pour permettre le financement de près de 150 projets de recherche, notamment pour l'énergie éolienne en mer et les centrales solaires thermiques. Inutile de dire qu'en France, il nous faudra davantage que des effets d'annonces ou des changements de noms (cf. le CEA qui est devenu le Commissariat à l'Energie Atomique et aux Energies Alternatives) pour amorcer un véritable tournant vers une nouvelle politique énergétique.

La solution passe aussi par la sobriété et l'efficacité énergétique. Il est évident qu'il nous faut, en plus de la création d'un véritable mix énergétique, repenser notre consommation. Réfléchir à la sobriété énergétique, c'est adapter nos comportements à la nouvelle donne énergétique, prendre conscience des enjeux liés au changement climatique et à la rareté des ressources. Nos modes de consommation sont en effet énergivores : ce que nous pourrions appeler notre "consommation de veille" (nos appareils continuellement allumés en mode veille) est responsable du fonctionnement de deux voire trois centrales nucléaires! Mais le poids de la réduction de la consommation d'énergie ne doit pas uniquement peser sur le consommateur. Pour progresser vers la sobriété énergétique, il faut permettre au consommateur de mieux gérer sa consommation – avec toutes les précautions que nous devons prendre à propos des nouveaux compteurs dits "intelligents" qui sont en phase d'installation et dont l'efficacité pour la réduction énergétique reste à démontrer. Nous devons aussi accroître l'efficacité énergétique de nos équipements et de nos bâtiments. En effet, la consommation d'énergie liée aux bâtiments représente une part considérable de la consommation totale. Améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments suppose d'améliorer le système de chauffage, l'isolation, l'installation de double vitrage... Dans ce domaine, des normes minimales existent depuis une directive européenne de 2002. Cependant, comme le bilan de ces premières années d'efforts en vue de l'efficacité énergétique reste insuffisant, la Commission européenne vient de proposer, en juin, une nouvelle directive visant à renforcer les normes et à adopter des mesures plus contraignantes afin d'engager l'UE vers une véritable sobriété énergétique.

La politique énergétique doit être européenne

L'énergie est un domaine européen par excellence: pour des raisons de ressources, d'approvisionnement et d'efficacité, la politique énergétique doit être développée à l'échelle de l'Union européenne. En décembre 2009, l'adoption du paquet climat fixait des objectifs ambitieux à l'horizon 2020, les fameux trois 20 : 20 pour cent de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 20 pour cent d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique et 20 pour cent d'augmentation de l'efficacité énergétique. Depuis, à l'échelle française (grenelle de l'environnement), européenne comme mondiale (sommet de Copenhague, Cancun), nous avons accumulé les déceptions et le bilan est plus que mitigé.

Il y a bien plusieurs grands projets d'infrastructures à l'étude comme celui d'un super réseau électrique en Mer du nord qui relierait les différentes centrales éoliennes offshore ainsi qu'une nouvelle proposition de la Commission européenne pour renforcer l'efficacité énergétique et adopter davantage de mesures contraignantes, mais la politique énergétique européenne reste brouillonne et sans vision commune pour l'avenir énergétique. Le manque d'unité a trouvé une nouvelle occasion de s'exprimer au lendemain de la catastrophe de Fukushima. Alors que l'idée des stress tests sur les centrales nucléaires européennes faisait l'unanimité parmi les Etats européens, plus de trois mois après Fukushima aucun progrès sur des stress tests véritablement contraignants supervisés par l'Union et évalués entre pairs n'est à enregistrer! L'accord sur les stress tests est un accord à minima qui révèle le manque d'ambition dans la gestion du risque et les normes de sécurité, qui devraient pourtant être mutualisées à l'échelle européenne.

Production décentralisée, développement local et aménagement du territoire

Enfin, notre avenir énergétique sera la production de proximité. Cela suppose la décentralisation. Une décentralisation bénéfique en termes d'emploi non-délocalisables. A l'inverse du modèle très centralisé que nous avons depuis des décennies, nous devons penser local! L'avantage des énergies renouvelables est qu'elles ont un potentiel de développement local. La production de proximité permet de réduire les coûts, à la fois économiques et environnementaux (exemple de l'huile végétale ou de la filière bois, de la géothermie, des hydroliennes ou de l'utilisation des courants marins) et de favoriser la combinaison des différents modes de production. Elle promeut aussi un nouveau modèle économique dans lequel les PME ont toute leur place. Evidemment cette politique doit être couplée à l'aménagement du territoire, il ne s'agit pas de mettre ces productions n'importe où mais de rétablir une production de proximité concertée et durable.

Le développement de ce mix énergétique et la réorganisation de la production sont aussi bénéfiques en termes d'emplois. Si les énergies renouvelables créent et vont créer des emplois, elles permettront aussi, et surtout, d'en maintenir au niveau local. D'ailleurs, que l'on se rassure : il y aura aussi du travail pour des années dans le nucléaire, même dans le cas d'un scénario de sortie de cette technologie. Le gouvernement, qui avance régulièrement l'argument des dizaines de milliers d'emplois que représente le nucléaire (de 40000 à plus de 120 000 emplois en comptant les emplois indirects), devrait se pencher sur le nombre d'emplois que nécessiteraient le démantèlement, la surveillance des réacteurs et la gestion des déchets radioactifs. Le décret publié jeudi 28 juillet, annonçant la décision de reprendre l'entreprise de démantèlement de la centrale de Brennilis, à l'arrêt depuis 1985, nous engage pour des années de travaux et de gestion des déchets puisqu'on estime qu'environ 100 000 tonnes de déchets seront engendrés au total par la déconstruction de la centrale. Le chômage technique n'est donc définitivement pas à l'ordre du jour !
.
.
Jean-Luc BENNAHMIAS

Aucun commentaire: