lundi 8 août 2011

1935 : L’affaire MALMEJAC – Partie 5 - Les médias s'en mélent

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Lundi 8 aout 2011 :
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Tous les lundis, durant cet été 2011, je vais explorer les méandres d’une affaire qui a bouleversé une longue semaine la ville de Marseille, et au-delà, la France entière : « l’affaire MALMEJAC » ou l’enlèvement d’un enfant en plein jour et au cœur même de la cité phocéenne.
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Ordre des publications :

Lundi 4 juillet 2011 : Présentation
Lundi 11 juillet 2011 : L’Enlèvement
Lundi 18 juillet 2011 : Premières recherches
Lundi 25 juillet 2011 : La piste d’Endoumes
Lundi 1er aout 2011 : La piste de Saint-Just
Lundi 8 aout 2011 : Les médias s’en mêlent
Lundi 15 aout 2011 : Le Boulevard des Fauvettes
Lundi 22 aout 2011 : Devant la justice
Lundi 29 aout 2011 : Conclusion
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I / Avis de recherche :

Dès le 29 novembre 1935, pour faciliter le bon déroulement de l’enquête, les services de police ont établi un avis de recherche qu’ils ont diffusé à toutes les unités. Le 1er décembre, cet avis, signé par le Commissaire central Sarbach, est enfin publié par la presse marseillaise.
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La diffusion auprès du grand public de cet avis est une tentative désespérée pour essayer de débloquer l’enquête. Comme nous l’avons déjà vu, celle-ci est désormais enlisée et plus rien ne vient la faire avancer. Par ce geste, les enquêteurs espèrent enfin recevoir un témoignage digne de foi.

II / Le message des Malmejac :

Ce matin là, de nouvelles lettres anonymes parviennent au domicile des Malmejac. Au milieu des nombreuses revendications, pour la plupart fantaisistes, une enveloppe attire l’attention des enquêteurs. Elle est identique à celle contenant les deux premières lettres, reçues dès les premières heures de l’enlèvement. Cette fois-ci encore, il s’agit d’une enveloppe blanche dont l’adresse, en lettres majuscules, est écrite au crayon noir. De nouveau, elle contient une feuille arrachée à un cahier d’écolier, probablement le même, soigneusement pliée en quatre.

Cette missive réitère la demande de rançon reçue dès le premier jour mais donne de nouvelles directives pour son échange. En guise de conclusion une phrase laisse toute latitude aux Malmejac quant à la démarche à employer :

Venez seul. Tout serait à craindre si vous étiez suivi !
Dans le cas où vous-même auriez un projet offrant toutes garanties, nous serions prêts à le suivre.

Mais une question se pose immédiatement : Quelle est la valeur de toutes ces lettres ?

Les Malmejac, comme les enquêteurs, sont toujours confrontés à cette grave question. Il devient malaisé de déterminer au milieu de toutes ces revendications douteuses la vraie missive de la ravisseuse. La plus grande peur des parents éplorés est de passer à côté du véritable message.

La suggestion de Léon Bancal donné la veille aux Malmejac devient donc d’actualité. Il faut que la ravisseuse apporte la preuve qu’elle détient réellement le petit Claude. Pour cela, le docteur Malmejac établit un message plein de dignité qu’il demande à la presse marseillaise de publier.

Dans ce message, le père explique qu’il voudrait avoir la preuve indéniable que la missive reçue a bien pour origine la ravisseuse. Pour cela, il lui demande de joindre au message la chaînette en or que portait son enfant au moment de l’enlèvement.

La presse du soir va publier ce message sans aucune difficulté. Il sera repris le lendemain par les journaux à gros tirages que sont le « Petit-marseillais » et le « Petit-provençal ». Toutefois, à ce moment là, la situation aura bien évolué comme nous le verrons en temps utile.

« Le docteur Malmejac reçoit tous les jours de nombreux rendez-vous. Méconnaissant tout des intentions et des sentiments de ceux qui lui écrivent, dont la plupart ne sont certainement pas les ravisseurs de son fils, il ne peut accepter que d’aller à un rendez-vous motivé. Celui-ci ne sera donc pris en considération que si la personne qui l’a fixé peut donner au préalable la preuve qu’il est en possession de l’enfant. Pour cela, elle devra joindre à la lettre la chaînette que portait le petit Claude et qui servira de signe de reconnaissance.

Le docteur Malmejac s’engage formellement à agir confidentiellement et se rendra à un rendez-vous franc et sans arrière-pensée. Celui ou celle qui ramènera l’enfant au lieu indiqué touchera aussitôt et sans discussion la somme proposée.

S.Malmejac »

III / La révélation de la lettre anonyme :

Alors que l’enquête piétine, la presse parisienne va lancer un véritable pavé dans la mare. Un journal du soir à gros tirages basé à Paris publie en « Une » un scoop qu’il juge sensationnel. Il s’agit de l’information concernant la lettre anonyme reçue par les Malmejac le jour de l’enlèvement réclamant cinquante mille francs de rançon. Sans aucune précaution ni fioriture, il révèle l’intégralité de la lettre ainsi que le détail de l’annonce publiée par les Malmejac dans le « Petit-marseillais » suivant les injonctions de la ravisseuse.

Cette révélation va déclencher la colère de la presse marseillaise et de son emblématique chef de file, Léon Bancal. En effet, les journalistes locaux se sentent trahis. Ils avaient fait promesse de ne point révéler cette information tant que les Malmejac ne le jugeront nécessaire. Et voilà qu’un journaliste, parisien de surcroît, brise ce serment, le scoop pour le scoop.

La presse marseillaise ne va pas être tendre pour ce renégat, dont la conscience, tant professionnelle que morale, est mise en doute. La « une » du « Petit-marseillais » va publier un éditorial sans ambiguïté de Léon Bancal, qui se fait le porte-parole de tous les journalistes locaux, dont il est par ailleurs le président du syndicat.

On peut remarquer que les journaux marseillais ont fait preuve d’une belle abnégation en cachant au public une information vitale dont il avait eu accès dès les premières heures. En effet, outre Léon Bancal et Marcel de Renzie, tout deux du « Petit-Marseillais », le docteur Malmejac avait montré les lettres à plusieurs journalistes pour demander leur avis et tenter de se rassurer.

Pour les Marseillais, c’est encore la presse parisienne, avide de scoop, sans aucun scrupule, qui a, peut-être, fait échouer cette piste ô combien fragile.

Toutefois, avec le recul, on peut aussi s’étonner des liens très étroits qui unissent la presse de l’époque aussi bien avec les parents qu’avec les enquêteurs. Tous semblent mener main dans la main la même enquête , les parents racontant par le menu les détails de leurs angoisses, les journalistes et les enquêteurs échangeant leurs informations au sus et au vu de tous le monde. Notre « sacro-saint » secret de l’instruction est bien loin. On peut par contre remarquer que chacun joue le jeu avec un grand respect et la presse va éviter soigneusement de publier toute information qui pourrait nuire à l’enfant enlevé … du moins jusqu’au scoop parisien.

IV / Le message déontologique de Léon Bancal :

Ce soir là, Léon Bancal va écrire un éditorial sans ambiguïté rappelant sa vision de la déontologie et de la conscience professionnelle que doit posséder tout journaliste. Il doit aussi s’expliquer sur la non-publication jusqu’à ce jour de la lettre reçue par les Malmejac le jour du drame. Cet article sera publié à la « Une » du « Petit marseillais » du 2 décembre 1935 :

« Le métier de journaliste consiste à rechercher et à donner des nouvelles. Vraies bien entendu. Mais son devoir est, avant de publier ces nouvelles, de songer à toutes les conséquences possibles de cette publication. Deux lignes peuvent suffire à jeter le désespoir dans un foyer et à causer d'irréparables catastrophes humaines.

Vendredi, nous savions que le père du bébé ravi la veille avait reçu la lettre dont nous parlons plus loin et dans laquelle on lui proposait le retour de son enfant contre une rançon. Pour laisser aux malheureux parents la possibilité d'entrer confidentiellement en relation avec les ravisseurs, si du moins comme on le suppose, la lettre émanait d'eux, et de retrouver le plus rapidement possible leur cher petit, nous nous abstenions de faire la moindre allusion à ce document que le Docteur Malmejac avait montré à certains d'entre nous pour leur demander un conseil d'ordre strictement privé.

Un confrère parisien, arrivé dans la nuit de vendredi à samedi et mis au courant de l'événement par des camarades, qui lui faisaient part de leur résolution et lui demandaient de respecter le vœux des parents, n'a pas hésité une minute à rendre publique l'existence de cette lettre et à sacrifier à la frénésie de l'information, la chance qu'avait Monsieur et Madame Malmejac d'être délivré de leur douleur et de leur angoisse.

Nous signalons ce fait sans commentaire.

Simplement, afin que le public, aux yeux duquel notre indispensable curiosité trouve quelque fois si difficilement grâce, sache qu'il est tout de même des journalistes chez lesquels le souci d'informer n'étouffe pas le devoir de rester humain.

Il y a encore des journalistes qui ne font pas la différence entre la conscience professionnelle et la conscience tout court.

C’est leur honneur.

Léon Bancal »

V / Le message radiophonique :

Alors que les journalistes sont en train de régler leurs comptes, les révélations de la presse parisienne ont malgré tout un aspect positif, faisant évoluer la situation des Malmejac. Ils peuvent désormais parler de la demande de rançon devant le grand public.

Les parents sont de plus en plus inquiets. Ils veulent toucher au plus vite la ravisseuse pour hâter la libération de leur enfant. Mais il manque de moyen car la dernière missive reçue donne aucune indication pour que le professeur puisse toucher la ravisseuse. Pour cela, un message radiodiffusé leur semble être la meilleure solution, la plus rapide et la plus sûre, pour parvenir à leurs fins.

A cette époque où la télévision n’existe pas, la radio est la principale source d’information avec la presse. Comme de nos jours, où tout le monde regarde la télévision, à cette époque tout le monde possède un poste de T.S.F. et écoute religieusement la radio locale chaque soir. La station de T.S.F. « Marseille-Provence » est la solution idéale et incontournable. Malheureusement, les messages radiodiffusés émis par des particuliers sont interdits. Il faut donc l’aval du ministre des P.T.T., le célèbre et redouté Georges Mandel.

Celui-ci comprend immédiatement le désarroi de la famille et donne son aval à la diffusion du message que les Malmejac lui soumettent :

« Le docteur Malmejac fait savoir qu’il est tout disposé à suivre les indications qui pourront lui être donné pour retrouver son fils.

Il s’engage à observer la plus grande discrétion sur toutes les tractations et à remettre confidentiellement la somme de cinquante mille francs à la personne qui lui ramènera son petit Claude. »

Ce message sera finalement diffusé plusieurs fois aux heures de grande écoute et touchera grandement la population. Comme nous le verrons plus tard, il touchera aussi son but, étant écouté par la ravisseuse.

VI/ Le détective Rochat :

Tandis que ces grandes manœuvres journalistiques se déroulent, le détective privé genevois Rochat débarque enfin à Marseille à la gare Saint-Charles.

Pour éviter d’être reconnu, le célèbre détective se terre dans un hôtel à proximité directe de la gare. Il se fit passer aux yeux de tous pour un ami personnel de la famille, renonçant à utiliser sa chienne Zita, trop remarquable. Cependant, cette attitude ne l’empêcha pas de lancer ses propres informateurs à la recherche d’éléments nouveaux.

Lorsque la nouvelle demande de rançon arriva au domicile des Malmejac, le professeur rendit visite au détective pour étudier la marche à suivre. Le détective proposa au docteur Malmejac de le remplacer lors de la remise de rançon et de traiter lui-même avec la ravisseuse.

Sur le coup, cette décision ne convainquit pas le père éploré. Mais nous verrons plus tard le changement d’attitude qui survint le lendemain matin.

VII/ L’état de l’enquête :

Comme nous l’avons vu plus tôt, l’enquête est donc dans l’impasse. En ce premier dimanche de décembre, aucune piste nouvelle, crédible ou non, n’est venue étayer la moindre des hypothèses. Les témoignages farfelus sont toujours aussi nombreux et les enquêteurs ont vraiment l’impression de faire du surplace.

Pour essayer de donner un coup de fouet aux recherches, les enquêteurs publient auprès du grand public un nouveau bulletin de recherche avec une description beaucoup plus précise de la ravisseuse. Ce bulletin va être repris dès le soir même par la presse locale.


Age : Soixante / soixante-cinq ans
Taille : Un mètre soixante-cinq
Visage : Rond
Teint : Rosé
Cheveux : Blanc
Corpulence proportionnée à la taille
Vêtue d'un long manteau noir avec un col en fourrure
Vêtement noir et soulier de la même couleur. Ses bas sont peut-être gris
Coiffée d'une toque assez enfoncée
Porte des lunettes à verre ordinaire
Boite légèrement et s'aide d'une canne à bout caoutchouc
Parle avec un accent non méridional, probablement parisien

Quoique plus précis, cette description correspond toujours à de nombreuses femmes de soixante ans habitant Marseille et sa région. Pourtant, c’est cette description qui va permettre à l’enquête d’enfin avancer. Mais cela n’est pas pour tout de suite.

VIII/ Les récompenses promises :

Parallèlement à tous ces efforts, une nouvelle manière d’aider la famille dans la douleur apparaît, manière initiée par la presse parisienne. Durant la période de « l’entre deux guerres », les grands journaux de la capitale rivalisent dans la course à l’audience. Dans cette course effrénée, tous les coups sont permis. L’un des atouts est « le » geste pour la « noble cause », geste bien entendu soutenu par une grande campagne publicitaire. Ce geste, fort opportun et nullement désintéressé, est très souvent une souscription. Les journaux ont pris l’habitude de lancer des souscriptions pour tout et n’importe quoi.

Dans l’affaire qui nous intéresse, c’est ce qu’ils vont faire mais ils vont introduire une nouvelle variante : ils offrent des primes. Cela va être durant quatre jours la course à la prime. Chaque prime consentie est annoncée à grand renfort d’affiches dans toute la France pour que tout le monde soit bien au courant des efforts consentis par les rédactions.

Ainsi « Paris-Soir » va offrir une prime de quarante mille francs à qui donnera une information concrète permettant de retrouver l’enfant enlevé.

Un autre grand journal parisien, « l’Intransigeant », va proposer quant à lui de verser les cinquante mille francs de la rançon à la place des Malmejac.

Un troisième va offrir dix mille francs à chaque enquêteur qui participera à l’arrestation de la ravisseuse.

D’autres enfin vont proposer de rembourser les frais de recherche

Cette débauche de moyen va avoir un effet pervers sur l’enquête. Il va faire enfler dangereusement le nombre de dénonciation et provoquer un engorgement des bureaux de l’Evêché, obligeant les enquêteurs à vérifier un nombre incalculable de fausse piste.

Heureusement, au milieu de tout ce fatras parviendra la lumière !
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La suite la semaine prochaine ...
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