mardi 2 août 2011

"Le nucléaire n'est pas l'avenir énergétique de la planète!" Partie I

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Mardi 2 aout 2011 :
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Sortie progressive du nucléaire, développement des énergies renouvelables et maîtrise de la consommation : pour Jean-Luc Bennahmias, député européen et membre du Shadow cabinet, le "mix énergétique" est "indispensable et créateur d'emplois". Il l'exprime dans une tribune publiée le 30 juillet 2011 sur le site d'information Mediapart.
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Il faut le dire clairement : le nucléaire n'est pas l'avenir énergétique de la planète ! Certains de nos voisins l'ont bien compris ; l'Allemagne a fait récemment le choix d'une sortie du nucléaire à l'horizon 2022, les Italiens ont rejeté par referendum une relance du nucléaire (déjà à l'arrêt depuis 1987 dans leur pays), le gouvernement suisse a annoncé qu'il renoncerait à construire de nouvelles centrales et qu'il allait désormais promouvoir les énergies renouvelables... Même le Japon, pays acquis au nucléaire, fortement dépendant de cette technologie, commence à évoquer un avenir sans nucléaire alors qu'une partie de son territoire et de sa population est désormais plus ou moins contaminée.
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En France, deuxième pays au monde en termes de production nucléaire, le dogme du nucléaire a empêché pendant longtemps tout débat public sur la question. Nombreux sont ceux qui continuent d'ailleurs de faire comme si de rien n'était. S'évertuant à nier que l'état des lieux énergétique avait changé depuis Fukushima, Eric Besson, ministre de l'industrie, répétait encore au mois de juin que le nucléaire restait une solution d'avenir. Puis, alors qu'il annonçait la mise en place d'une étude prospective pour réfléchir aux scénarios de diminution voire de sortie du nucléaire, il précisait immédiatement que cette dernière hypothèse n'était pas privilégiée... Il reste à voir dans les faits quelles seront les modalités pratiques de réalisation de cette étude. Elle devrait conclure que, en effet, l'avenir ce n'est pas le nucléaire! Elle devrait aussi remettre en cause la politique exportatrice du nucléaire que la France entretient encore aujourd'hui mais qui n'est plus tenable. La situation énergétique a changé irrémédiablement depuis Fukushima, l'équation du risque versus efficacité s'est renversée. L'avenir se situe dans un mix énergétique et dans la sortie progressive du nucléaire via la combinaison des différents moyens de production et la diversité de la recherche. Développer la part des énergies renouvelables, progresser vers la sobriété énergétique, gérer la sortie du nucléaire en restant d'une extrême vigilance sur la sécurité, en mettant définitivement un terme à l'utilisation de sous-traitants et en créant cette politique énergétique européenne qui nous fait défaut !
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Quand l'équation risque versus efficacité énergétique se renverse
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N'importe quel moyen de production est porteur de risque. Il n'y a pas de risque zéro ! Toute politique énergétique est donc aussi une politique de gestion du risque. Dans le cas du nucléaire, l'équation risque versus efficacité énergétique et rentabilité semblait tourner à l'avantage économique du nucléaire: on acceptait volontiers un choix de production dangereux, porteur de risques non négligeables pour les populations et l'environnement, car cela permettait d'assurer une certaine indépendance énergétique et des coûts officiellement peu élevés de l'électricité. Mais la catastrophe de Fukushima a changé la donne. Elle a renversé l'équation : le facteur risque paraît désormais trop important par rapport aux avantages. Notre société est une société de l'aversion au risque ; alors que de nombreux spécialistes n'hésitent plus à affirmer qu'il existe un risque d'accident ou de catastrophe nucléaire tous les 20 à 30 ans, que de ce fait nous savons que la France n'est pas à l'abri d'un accident majeur, que l'EPR en construction n'a pas non plus été soumis à des stress tests rigoureux, le risque nous paraît désormais trop élevé.
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Augmentation du facteur risque mais aussi non-maîtrise : ce que Fukushima a révélé au grand jour, c'est la totale incapacité des opérateurs et des autorités publiques à gérer le risque - alors même que le Japon est considéré, avec la France, comme le phare technologique moderne. En effet, qu'on ne s'y trompe pas: même si les informations nous parviennent aujourd'hui seulement par bribes, la situation reste toujours loin d'être maitrisée à Fukushima! Si l'entreprise de décontamination des tonnes d'eau (plus de 100 000) contaminées se trouvant dans les réacteurs fonctionne désormais, elle a connu de graves problèmes techniques. Par ailleurs, le site est fortement contaminé. Or aucune solution alternative ne semble avoir été envisagée alors même que la décontamination de l'eau est indispensable. Nous savons aussi aujourd'hui que le combustible est entré en fusion dans les réacteurs 1, 2,3, qu'il est possible qu'il ait percé la cuve sous pression de chacun des réacteurs et qu'une explosion se serait produite dans le réacteur 3 en juin... Tepco en est d'ailleurs toujours à verser de l'eau sur les piscines: une solution qui nous paraissait bien dérisoire les jours suivants la catastrophe, forcément provisoire parce que précaire, mais qui reste pourtant la seule à ce jour! Et que dire de ce qu'on apprend tous les jours concernant la radioactivité des sols, des mers, des cultures et des populations! En résumé, Fukushima n'est pas une affaire classée. Non seulement en termes de dangers que représente la centrale mais aussi en termes de contamination de l'environnement et de risque pour la santé publique, le Japon en a pour des dizaines, voire des centaines d'années. Il suffit de voir la situation à Tchernobyl, qui 25 ans après la catastrophe, reste précaire: un no man's land, des zones et des populations contaminées, une sous-information chronique, sans parler du manque de réparation pour les victimes.
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Au delà de l'incapacité à gérer la catastrophe immédiate, il faut aussi se pencher sur le long terme et sur cette inconnue que reste le démantèlement des centrales. A Tchernobyl, le projet de sarcophage est encore à financer et donc loin d'être terminé: en février dernier, la conférence des donateurs de Tchernobyl est venue nous rappeler que la catastrophe produisait encore des effets et que le démantèlement avait un coût! Sans parler de la question de la faisabilité de cette entreprise! Il est donc aujourd'hui évident - lorsque l'on met en avant l'argument du coût faible du nucléaire par rapport aux autres moyens de production - que les technologies nucléaires existantes ne peuvent atteindre les hauts niveaux de sureté attendus sans investissements supplémentaires - et donc des coûts importants sont à prévoir, sans compter ceux du démantèlement des centrales (encore largement embryonnaire comme technologie: cf Brennilis) qui ne sont pour l'instant provisionnés nulle part (et qui, lorsque des chiffres sont prononcés, paraissent flous: est-ce 50 milliards ou plus ? on ne sait plus trop).
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Et puis les réacteurs de troisième génération, censés être plus sûrs, les fameux EPR, n'ont de nouvelle génération que le nom. Si ces réacteurs comportent de petites améliorations, il ne s'agit pas d'une véritable révolution qui permettrait de minimiser le risque: on n'est pas à 100 pour cent de maîtrise des processus! C'est ce qui avait d'ailleurs conduit le président de l'ASN, avant qu'il ne soit vite recadré, à évoquer un moratoire sur l'EPR de Flamanville. Ces mêmes EPR qui, en France comme en Finlande, accumulent retards de construction et augmentation des coûts. La mise en service à Flamanville vient de nouveau d'être retardée (elle est prévue désormais pour 2016) alors que le coût de l'entreprise a doublé depuis le commencement, passant de 3 à 6 milliards d'euros.
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En France, mais aussi au Japon où l'opposition monte contre le nucléaire, de récents sondages nous montrent que les populations sont majoritairement opposées à cette technologie. Il y aura bien - contrairement à ce que certains continuent de nier - un avant et un après Fukushima dans le monde énergétique. Attention, il ne s'agit pas d'échanger une technologie très dangereuse contre une autre (énergie fossile) qui serait tout aussi porteuse de risques pour le changement climatique. L'avenir se situe dans le mix énergétique: un mix de production et de recherche. Mais la transition est un passage obligé. Le scénario de ceux qui nous promettent de sortir en dix ans du nucléaire n'est pas tenable (en termes de coûts de l'électricité et de lutte contre le changement climatique). Pendant une période de transition inévitable en sortant du nucléaire, il faudra nous appuyer sur les énergies fossiles, mais ce n'est pas l'un ou l'autre: on n'échange pas une énergie dangereuse contre une autre tout autant porteuse de risques, nous allons vers un mix énergétique.
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To be continued - Suite jeudi prochain - Jean-Luc BENNAHMIAS
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