lundi 5 septembre 2011

1935 : L’affaire MALMEJAC – Conclusions

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Lundi 5 septembre 2011 :
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Tous les lundis, durant cet été 2011, je vais explorer les méandres d’une affaire qui a bouleversé une longue semaine la ville de Marseille, et au-delà, la France entière : « l’affaire MALMEJAC » ou l’enlèvement d’un enfant en plein jour et au cœur même de la cité phocéenne.
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Ordre des publications :

Lundi 4 juillet 2011 : Présentation
Lundi 11 juillet 2011 : L’Enlèvement
Lundi 18 juillet 2011 : Premières recherches
Lundi 25 juillet 2011 : La piste d’Endoumes
Lundi 1er aout 2011 : La piste de Saint-Just
Lundi 8 aout 2011 : Les médias s’en mêlent
Lundi 15 aout 2011 : Le Boulevard des Fauvettes
Lundi 22 aout 2011 : Devant la justice
Lundi 29 aout 2011 : Un dernier rebondissement
Lundi 5 septembre 2011 : Conclusions

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Après plusieurs semaines, nous voici donc à la fin de ce tragique fait divers marseillais. Avant de vous faire découvrir, en guise de conclusion, comment Léon BANCAL du Petit Marseillais ra conta à ses lecteurs les retrouvailles entre le petit Claude et son près, je pense qu’il est temps d’apporter une brève conclusion à toute cette histoire.
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Cette affaire toucha au plus profond de ses fibres la vieille cité phocéenne. Non seulement on avait touché à l’un de ses enfants mais en plus c’était pour une raison sordide : l’argent. Et cela était totalement inadmissible pour une population où l’enfant est le centre de tout.

C’est pour cette raison que la ville entière se mobilisa pour retrouver Claude Malmejac et que l’on vit une association improbable pour le retrouver : la police et le grand banditisme réunis dans la recherche de la vérité !

L’effervescence policière nuisait aux affaires du grand banditisme. Outre le fait qu’au plus vite l’enfant serait retrouvé, au plus vite les affaires pourraient reprendre, Paul Carbone et Louis Spirito supportaient mal qu’un inconnu vienne chasser sur leurs terres. Car il ne leur avait pas fallu plus d’une demi-journée pour apprendre que la pègre marseillaise n’était en rien mêléz à cet enlèvement, information très vite relayée à la police. Comment passer sous silence les descentes des hommes de ces figures locales dans tous les clandés de la région à la recherche d’informations pouvant aider à retrouver l’enfant ? Comment passer sous silence la soudaine osmose entre toutes les couches de la population en une seule inquiétude : où était l’enfant ?

En cela ce rapt fut une affaire des plus remarquables.

I/ Le procès des kidnappeurs
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Il se déroula sept mois plus tard au Tribunal d’Aix-en-Provence, du 23 au 26 juin 1936. André Clément, le fils, et Marie Cardin, la mère ont comparu.

Les deux accusés vont tenter, durant toute la durée du procès, de limiter leurs rôles, l’une jouant sur son grand âge, l’autre sur sa position de chômeur, mais le juge a tôt fit de démontrer le vrai visage des accusés en rappelant les affaires de détournement d’argent de Dieppe et Rouen, l’agression et le chantage contre Mr Samama et la tentative d’enlèvement des enfants Cezily.

L’avocat-général Lacaux va être sans pitié et après une terrible plaidoirie mettant en avant les plus noirs dessins et les plus perfides traits de caractères des accusés, il va réclamer pour chacun la peine maximale correspondant aux inculpations.

André Clément risque dix ans de travaux forcés pour l’enlèvement du petit Claude Malmejac. Mais comme le jeune homme est aussi accusé de tentative d’enlèvement des enfants Cezily, le ministère public peut doubler la mise et ainsi réclamer vingt ans, chose dont il ne va pas se priver. D’autant plus que les violences faites dans l’affaire Samana permettent de consolider cette demande.

Marie Cardin, étant une femme, et ne pouvant être envoyé au bagne, le ministère public réclame vingt ans de réclusions tout en mettant en garde les jurés sur le caractère dangereux de cette vieille femme et donc de lui éviter les circonstances atténuantes.

Les avocats de la défense, Maitre Verdot-Martino et Maitre Grisoli vont tout tenter, dans deux plaidoiries émouvantes, tentant de démontrer combien « l’absence du père a pu peser sur le jugement du fils », comment les conditions de vie des deux accusés étaient précaires, comment la destruction de la famille avait détruit aussi « le discernement de ces deux êtres ballotés par la vie ».

Après ces plaidoiries, la parole est donnée aux accusés. Marie Cardin va se plonger dans un profond mutisme. André Clément, de son côté, va tenter de s’excuser, sans trop arriver à convaincre d’ailleurs.

« J’exprime ici des regrets pour ma mère et pour moi. Je suis le seul coupable. J’ai entrainé ma mère par tous les moyens en mon pouvoir. Si elle est coupable, ce n’est que de m’voir trop aimé. »

Il ne faudra qu’une heure aux jurés pour répondre aux onze questions qui leurs sont posés. Et les réponses sont accablantes : coupables aux onze questions sans aucune circonstance atténuante.

Dans la foulée, André Clément est donc condamné à vingt ans de travaux forcés au bagne de Cayenne tandis que Marie Cardin écope de vingt ans de réclusions.

II/ Le durcissement de la loi

Au moment même où se déroule le procès des kidnappeurs, le parlement adopte la modification de l’article 355 du Code Pénal concernant le durcissement des peines lors de kidnapping.

Jusqu’à présent, l’article 355 du code pénal concernant « les coupables d’enlèvement, de recel ou de suppression d’enfant », ne prévoit que des peines de réclusion ne pouvant excéder dix ans. Si les circonstances atténuantes peuvent être avancées, cette peine est ramenée à cinq ans.

Dans le cas de l’enlèvement de Claude Malmejac, la justice a du recourir à des artifices pour les condamner plus durement. Pour éviter cela à l’avenir, le député mais aussi avocat Georges Pernot, qui de surcroit a tenu les reines du ministère de la Justice de novembre 1934 à mai 1935, établie un rapport puis une proposition de loi qui est justement adopté en même temps que le procès.

« L’article 355 du code pénal est modifié ainsi qu’il suit :

Article 355 : Si le mineur ainsi enlevé ou détourné est âgé de moins de quinze ans, la peine sera celle des travaux forcés à perpétuité.
La même peine sera appliqué quel que soit l’âge du mineur si le coupable s’est fait payer ou a eu pour but de se faire payer une rançon par les personnes sous l’autorité ou sous la surveillance desquelles le mineur était placé.
L’enlèvement emportera la peine de mort s’il a été suivi de la mort du mineur. »

Deux recommandations accompagnent cette proposition de loi :
George Pernot demande tout d’abord que les affaires d’enlèvement bénéficient d’une « procédure rapide » permettant de juger les kidnappeurs immédiatement. En guise de deuxième recommandation, il réclame une censure ferme et sans exception des films cinématographiques faisant l’apologie ou montrant ce type de comportement. Il s’appuie sur le fait qu’André Clément a toujours dit, pour excuser son geste, qu’il avait trouvé son inspiration dans les films.

L’article 355 sera adopté par les deux chambres à l’unanimité et publié fin juin au journal officiel de la République française.

III/ Récit de Léon Bancal publié par le « Petit-Marseillais » le 3 décembre 1935 :

Pour terminer cette étude, je ne peux résister à vous faire partager ce récit de léon Bancal, rédacteur en chef du

« Le hasard m'a fait vivre hier après-midi quelques minutes qui comptent à la fois comme les plus angoissantes et les plus émouvantes de ma vie de journaliste.

Un coup de téléphone venait de nous apprendre l'arrestation des ravisseurs du bébé. Des circonstances de cet événement, nous ne savions rien d'autre, sinon que l'un des deux avait été tout près de tuer l'enfant. Nous cherchions avec l'anxiété que l'on devine à obtenir la confirmation de la nouvelle et des détails complémentaires lorsque le docteur Malmejac apparut.

Que de fois déjà il était venu chez nous, apportant quelques uns de ces messages dont il espérait bien qu'ils finiraient par lui permettre de retrouver son cher petit.

Il tenait à la main une de ces papiers. Je ne le laissais par parler.
- C'est donc vrai ! lui lançais-je.
- Quoi donc ?
- On l'a retrouvé ?
- Mais non … Je viens de chez moi et je vous apporte …

Je crois qu'à ce moment je lui crie en plein visage : Votre fils est retrouvé ! venez !
Nous bondissons dans l'escalier. Il m'interrogeait : Où allons nous ?

Nous traversions le cours du Vieux-Port et prenions un taxi dont le chauffeur a du d'abord croire que nous avions perdu la raison.

Quels instants cruels dans cette voiture pendant le trajet du Petit Marseillais à l'Hôtel de Police.
- Oui, disais-je, votre petit Claude a été retrouvé. La vieille femme a été arrété. Son complice aussi.
- Non ! Ce n'est pas vrai ! Qui vous l'a dit ?
- Un coup de téléphone …
Puis, dans la pénombre du taxi, je sentais la main du docteur qui serrait mon bras. Il me demandait : Vivant ? est-il vivant ?
- Oui docteur, il est vivant, vous allez le revoir !
- Je ne le crois plus !
Et à chaque instant, cette voix brisée de larmes répétait : Vous êtes sûr qu'il est vivant ?
- Je vous l'assure. Ne lui ai-je pas donné ma parole qu'il allait retrouver son enfant vivant ?

Hélas ! Comment pouvais-je être sûr que l'enfant était sain et sauf ? J'avais beau me rappeler les mots entendus au téléphone. J'avais beau m'assurer moi-même que le collaborateur qui nous avait avisés était un homme sérieux …

Si par malheur …

J'en étais à me demander si cet homme à qui j'avais promis qu'il allait retrouver son enfant allait le retrouver vivant !

Minutes mortelles. J'aurais voulu, tandis que nous approchions du Fort Saint-Jean, parler d'autre chose pour chasser l'angoisse de ce père et la mienne …

Mais, sans cesse, il répétait : Vous êtes sûr qu'il est vivant ?

Et je répondais : Oui … Oui … comme on répond à un enfant pour le consoler.

La rue de l'Évêché était noire de monde. A peine étions-nous descendus que la foule, sans rien savoir, avec son instinct pénétrant, avait deviné qui était mon compagnon.

"le père … le père !" entendait-on circuler et les braves gens qui étaient là s'effaçaient pour nous laisser passer.

En quelques enjambées, nous arrivâmes à la porte de l'appartement du Chef de la Sûreté, devant laquelle journalistes et photographes montaient une impatiente garde.

La porte s'ouvre et je n'ai que le temps d'apercevoir au bras d'un inspecteur un bébé palot, vêtu de bleu, coiffé d'un béret d'angora blanc. Un cri : Mon petit Claude !

Le docteur serre contre sa poitrine l'enfant. Il pleure. Le petit pleure et, joue contre joue, le père mêle ses larmes à celles de son fils.

Nous étions là, une dizaine de personnes. Je voudrais savoir quel est celui d'entre nous qui n'a pas eu la gorge sèche et qui n'a pas sentie ses yeux se mouiller …

Ceux qui ont vu cet homme presser contre sa poitrine ce bébé et qui ont entendu la petite voix répéter : Papou … Papou n'oublieront pas de sitôt cet instant.

Puis je n'ai plus rien vu, sinon le père assis sur une chaise, mitraillé par les photographes qui avaient réussi à entrer. Invitant le chef de la Sûreté à s'assoit à coté de lui, il riait à travers ses pleurs et son gosse sur les genoux, il répétait : Allez-y … aujourd'hui, autant de photos que vous voudrez ! »
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Léon Bancal
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