vendredi 30 septembre 2011

Si on parlait d’Education ?

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Vendredi 30 septembre 2001 :
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Mes activités professionnelles, politiques et personnelles m’ont empêché cette semaine de publier des articles de mon crû. Aujourd’hui ne déroge malheureusement pas à cette règle. Toutefois, l’actualité concernant l’Education et les problèmes s’y trouvant, étant au centre des préoccupations politique de cette semaine, à l'heure où une partie du monde enseignant manifeste, je vous propose de découvrir l'intervention de François Bayrou consacrée à l'Éducation, lors de notre Université de rentrée qui s'est tenue du 16 au 18 septembre, à Giens. Il y prône notamment le "rétablissement de l'exigence de chaque niveau par rapport à ce qu'il a à transmettre".
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Intervention de François BAYROU :
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"Je comprends très bien que Frédérique Rolet dise "ne noircissons pas trop le tableau" parce qu’il y a des élèves qui réussissent, c’est indiscutable. Dans ma vie d’homme passionné par l’école, j’ai choisi il y a longtemps d’en faire mon métier ; j’ai été le Ministre de l’Education nationale qui est resté le plus longtemps dans le siècle, je crois à une exception près de quelques semaines, j’ai donc vraiment beaucoup aimé ça, et je crois avoir pendant ces années-là tissé avec le monde enseignant un lien qui pour un enseignant d’une majorité dite de droite à l’époque n’était pas absolument évidente. Et je dois dire que j’ai quatre enfants qui ont choisi l’enseignement, donc j’ai pour ma part apporté ma pierre à la question difficile du recrutement par passion.

Mais je veux dire ceci : il ne faut pas que l’on se trompe, le degré de découragement atteint aujourd’hui du côté des enseignants et du côté des parents à l’école est le plus profond que l’on n’ait jamais atteint. Si on ne dit pas ça, on ne dit rien. Aux uns, aux enseignants, parce qu’ils se sentent ciblés, par des attaques qui sont aussi injustes que vulgaires sur l’exercice de leur métier, je voudrais vous dire ceci : il n’y a pas un de ceux qui disent que les enseignants ne travaillent pas, qui ne sont pas à la hauteur, il n’y en a pas un qui tiendrait une heure devant une classe de collège normal. Et ils disent : "ah mais cela ne suffit pas, ils n’en font pas assez". Moi je voudrais que l’on m’explique comment un enseignant normal dans une classe de lycée peut enseigner une heure sans avoir le temps de préparation et de correction des copies plus le temps des conseils de classe, plus le temps des renseignements, des innombrables bulletins et autres. Franchement, l’idée que 18 heures d’enseignement, ou 20 heures d’enseignement ou 15 heures d’enseignement dans les grandes classes, cela ne représente pas 35 heures de travail, c’est une idée blessante, affligeante pour les enseignants, c’est honteux. Et personne ne le dit !

J’ai été très frappé, dans une page du Monde, par ce que le Parti socialiste a dit sur le métier de l’enseignement : pourtant c’est normalement un mouvement politique qui favorise ou qui s’inscrit dans la pensée dominante, croit-il, du monde enseignant, hé bien l’idée dominante, c’est que l'on allait changer la pratique, c’est-à-dire mettre la pointeuse, et exiger 35 heures à l’intérieur de l’établissement, comme si c’était ça la solution aux questions. En réalité, les enseignants vivent ça comme un réquisitoire contre eux qui ne dit pas son nom et en face duquel ils n’osent pas se défendre. Donc il est juste qu’il y ait au moins une sensibilité politique qui dise qu’il y a là une profonde et blessante incompréhension. Il faut les défendre, et s’il n’y en a qu’un pour le dire, puisque les deux autres grandes formations politiques ont l’intention de dire le contraire ou de laisser dire le contraire, ça sera nous et je trouve que c’est très important.

Dans le même temps, il ne faut pas négliger le fait que les familles sont dans le même désarroi. Je n’ai jamais vu de ma vie autant de parents enlever leur enfant de l’enseignement public pour le mettre dans le privé et autant de parents qui envisagent, Claire Mazeron l’a dit, le privé hors contrat ; en disant "après tout on fera les sacrifices qu’il faut", quand ils peuvent, quand ils ont les moyens bien sûr, parce que c’est payant, mais pour qu’au moins, croient-ils, ils aient un enseignement qui ressemble à quelque chose.

Alors c’est tout à fait vrai que c’est un projet de société qui est nourri et conçu depuis longtemps et qui s'appelle "chaque éducation" (Alain Madelin a défendu ça depuis longtemps, avec des débats difficiles contre moi, parce que c’est quelqu’un qui est intelligent mais je ne partage pas son point de vue). C’est l’idée que chacun va choisir son école, c’est-à-dire exactement le contraire que ce que nous avons voulu en République, l’idée que, il y avait au moins une Nation, dans laquelle, on allait forger le lien fondateur du peuple citoyen, par la transmission au moins du savoir.

Et quand le SNES dit "socialisation par les savoirs", la FSU dit "socialisation par les savoirs", moi je pense que c’est "formation du lien civique par les savoirs". La socialisation ça compte, mais le projet de l’école c’était ça. Projet incroyable, utopique, qui consiste à réaliser dans un lieu donné de la Nation, la devise de celle-ci, la liberté ça s’apprenait croit-on à l’école, l’égalité ça se pratiquait croit-on à l’école, la fraternité ça s’illustrait croit-on à l’école. Ceci est une chose très importante parce que ce désarroi-là, il touche maintenant non seulement l’enseignement public mais aussi l’enseignement privé.

Et l’angoisse est telle qu’ils font des sacrifices incroyables. L’angoisse des familles qui se saigne aux quatre veines pour faire donner des cours particuliers aux enfants dans toutes les familles et dans tous les niveaux de la scolarisation. Mais pour nous, pour notre projet social, pour notre projet républicain, c’est insupportable. Et donc il y a en effet une politique à concevoir, qui est une politique à la fois de défense de la vocation et de l’exercice du métier enseignant et de reconstruction de cette utopie parce que c’est vrai que l’école est une utopie pratique, une utopie concrète.

Moi je donne une seule ligne, je reconnais que c’est difficile. Et cette ligne est d’autant plus difficile à énoncer, que ça se fera, pardon pour tous ceux qui ont dit le contraire, à moyens constants ou à peu près. Parce que ce sera déjà difficile de défendre avec acharnement les moyens constants, la protection, la sanctuarisation des moyens actuels de l’école. Je ne crois pas une seconde à toutes les annonces qui prétendent à la multiplication des postes, comme d’autres assez sympathiques prétendaient à la multiplication des pains. Je n’y crois pas une seconde, et je vais l’illustrer par la réflexion de Claire Mazeron qui est absolument juste.

Cette année, on a appliqué une nouvelle fois depuis quatre ans le "un sur deux" ; on n'a recruté que la moitié des postes des enseignants qui partaient à la retraite. Dans l’enseignement secondaire, il y en avait à peu près 16 000 ou 17 000 qui partaient à la retraite. On a donc créé 8 000 à 8 500 postes. Sur ces 8 500 postes, il y en a 1 000 que l’on n’a pas attribués. Par constat des jurys, et pas mal intentionnés, pas malthusiens, pas poussés par le ministère, il y en a 1 000 qui n’ont pas été attribués parce qu’il n’y avait pas les candidats au niveau, et il n’est pas toujours le plus haut, au niveau exigible.

Si on suit le plan que je défends devant vous, l’an prochain, au lieu de 8 000 dans l’enseignement secondaire, on en créera 16 000 mais ça ne veut pas dire que la cohorte des candidats sera plus formée, capable, qu’au niveau de cette année, puisqu’il y en 1 000 que l’on n’a pas réussi à livrer. Alors l’idée qu’au lieu de 16 000, il en faudrait 24 000 l’an prochain, c’est ça l’idée que défende certains, c’est une idée mensongère, ce n’est pas parce que vous mettrez 80 000 postes de recrutement l’an prochain que vous auriez plus de 8 000 candidats capables puisqu’ils n’étaient pas là cette année. Donc, au lieu de créer des postes, il faut d’abord résoudre la question de l’attractivité du métier, il faut d’abord résoudre la question d’une Nation qui soutient ses enseignants, il faut d’abord résoudre la question de l’exercice de ce travail. C’est une idée qui me paraît conciliable avec la période d’efforts que la Nation va devoir faire pour s’en sortir. Et je trouve que doubler le nombre de postes au concours de recrutement d’une année sur l’autre ce n’est pas tout à fait rien déjà comme affirmation.

Je finis par la dernière idée, celle au fond à laquelle je crois le plus : la "décennie des mal appris". On en a vécues deux et je crois en raison de causes qui étaient assez justement analysées, que peut-être je n’ai pas su toutes changer, on a fait beaucoup de choses, mais pas assez, je veux bien l’admettre. Il y a en tout cas un mouvement, que je considère comme le plus risqué et le plus dangereux, le plus attrayant ou le plus facile, qui est le mouvement de la constante acceptation de la baisse des exigences à chaque niveau : l’idée que, ce que l’on n’arrive pas à faire dans le primaire, on le fera au collège ; que ce que l’on n’arrive pas à faire au collège, on l’acquerra au lycée ; que ce qu’on n’arrive pas à acquérir au lycée, on l’acquerra à l'université ; ce qui revient à essayer de transmettre à l’université un certain nombre de choses qui relève du collège et peut-être même parfois diront certains enseignants de l’école primaire. Cette idée-là de démission en démission, c’est une idée qui a été extrêmement pernicieuse pour l’image, l’idée et le climat qui règnent à l’intérieur de l’Education nationale.

Mon idée que je voudrais défendre devant vous, c’est au contraire le rétablissement de l’exigence de chaque niveau par rapport à ce qu’il a à transmettre, ce qui n’est pas si compliqué, ce qui n’est pas si difficile, ce qui est certes peut-être aujourd’hui défini comme trop abstrait. Moi je suis d’accord pour dire que quand on donne à un enfant de 8 ans à apprendre l’absolutisme comme système socio-politique, je pense qu’on se trompe dans la définition des exigences. Mais en tout cas, tant que l’on n’aura pas au collège des élèves qui entrent et qui ont les acquis nécessaires, on aura des classes déstabilisées.

Comme Jean-Paul Brighelli le dit à juste titre, les élèves qui déstabilisent les classes, ce sont des élèves qui sont déstabilisés eux-mêmes et c’est le seul chemin qu’ils ont pour la reconnaissance ; ils n’en ont pas d’autres. Cette idée de remettre chaque niveau dans la pleine maîtrise des objectifs, des devoirs, des buts qui sont les siens, me paraît en tout cas une idée de reconstruction de l’Education nationale et de reconstruction de l’image des enseignants, qui au lieu de passer leur vie à être contraints à des démissions, seront au contraire pleinement rétablis dans leur vocation."
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Lien internet de la vidéo :
http://youtu.be/q-VURlH0l4k
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