jeudi 28 octobre 2010

Curieuse lettre ouverte presque "révisionniste"

.
Jeudi 28 octobre 2010 :
.

Titre volontairement provocateur, je l’admets qui mérite une ligne d’explication : Lettre ouverte « révisionniste » dans le sens où l’on va découvrir une « révision » de l’Histoire de Marseille assez curieuse.
.
L’UGICT-CGT13 publie une lettre à l’adresse « du patronat et de la grande bourgeoisie » marseillaise pour donner sa vision des causes de la crise portuaire. Pour faire court, la crise portuaire a commencé au début des années soixante et découle directement des décisions et de la stratégie du « grand patronat et de la grande bourgeoisie marseillaise ». Daher, Magnan, Verminck et autres Rastoin, c’est de votre faute si nous en sommes là ! Je ne vais pas m’étendre sur le fond et, dans un premier temps, je voulais éviter d’aborder les accusations portés, chacun étant en droit d’avoir ses propres opinions, si l’auteur de cette lettre ne s’était appuyé sur des exemples historiques. Or, je suis très étonné de certaines libertés prises avec l’Histoire (avec un grand H) marseillaise.
.
Il serait amusant (hors contexte dramatique que nous vivons) de constater que pour la CGT, les délocalisations hors Marseille vers Aubagne, Fos et Vitrolles datent des années soixante. C’est faire fi d’un mouvement amorcé dès le milieu des années trente avec une volonté pour Marseille de sortir du cadre étroit de son territoire.
.
Parmi les choses étonnantes que cette lettre ouverte véhicule, nous avons l’évocation de la casse du chantier naval de La Ciotat. Pour la CGTC’est faire fi, dans ce cas précis, de la disparition des Messageries Maritimes dont La Ciotat était le chantier « personnel ». Et si les MM ont disparu, la cause première est la décolonisation. Les MM recevaient une manne financière de l’Etat pour assurer le service « de malle » entre Marseille et les colonies du Levant et de Chine. Elles reversaient une partie de cette manne dans les chantiers de La Ciotat par le biais de la construction de navire. La disparition des colonies à partir des années 50 et l’essor de l’aviation (il fallait bien utiliser les milliers de DC3 construit pendant la guerre) a entrainé une chute d’activité des MM, une baisse du nombre de ses navires (et donc des nouveaux navires) puis sa disparition pure et simple à l’orée des années 70.
.
Conséquence directe pour la Ciotat : la perte d’un marché juteux assuré et, dans les quinze ans qui suivent, la disparition d’un chantier naval voulu et crée par les MM, faut-il le rappeler. Personne à ce moment, des syndicats à l’Etat, ne s’est rendu compte que la poule aux œufs d’or avait disparu et qu’une redéfinition des missions spécifiques de ce chantier était nécessaire. Tout le monde s’est arque bouté sur des privilèges ou des positions passéistes qui ont conduit directement le chantier dans le mur. Sous prétexte d’un savoir-faire qui n’avait plus de raison d’être, un fleuron de l’industrie régionale a été sacrifié.
.
Autre contrevérité historique, ignorer complètement les bouleversements géopolitiques qui ont profondément affecté l’activité commerciale marseillaise. Le tract aborde légérement la décolonisation sans se pencher sur l’impact réel économique sur notre port. La colonisation a permis à Marseille de devenir « la porte de l’Orient ». Certes les grandes familles marseillaises en ont été les premières bénéficiaires mais ces entrepreneurs de l’économie ont permis aussi à Marseille et ses habitants d’en profiter. La décolonisation a définitivement mis hors jeu notre ville.
.
De surcroit, un autre événement est passé sous silence. En juin 1967, le canal de Suez est brutalement fermé avec le déclenchement de « la guerre des six jours ». La conséquence est dramatique pour notre port. Les navires en provenance ou à destination de l’extrême orient sont obligés de contourner l’Afrique. Outre l’accroissement de la durée de transports, les navires prennent l’habitude de transborder à l’entrée de la Mer Méditerranée ou de remonter directement vers l’Europe du Nord, transformant la Mer Méditerranée en simple mare aux canards. Cet événement, conjugué à la baisse des trafics dues à la perte des colonies ; a brutalement affecté à la fois la ville et son port. Pas besoin d’aller chercher un quelconque complot de la grande bourgeoisie !
.
Troisième affirmation surprenante : celle correspondant aux « délocalisations » industrielles sur le pourtour de l’Etang de Berre ou vers Fos. Je pense qu’il est bon de rappeler que ces délocalisations ne datent pas des années 60 comme cette lettre le laisse entendre mais bel et bien d‘avant guerre (la seconde !). Le mouvement a été initié par la Pétrochimie et les oléagineux qui, profitant du réseau dense de chemin de fer, ont préféré « s’exiler » sur des endroits où ils disposaient d’un espace important. Ce mouvement a été accéléré par le fait que les locaux dont disposaient intra-muros ces usines étaient vétustes (construit pour la plupart dans le grand boom économique 1850-1880) et exigües. Le tunnel du Rove, reliant directement Marseille à l’Etang a favorisé ce mouvement.
.
Je rappelle aussi que la première véritable restructuration a été celle de la savonnerie avant même la seconde guerre mondiale avec l’apparition en Europe du grand groupe anglais Unilever. Celui-ci profita de la multiplication des faillites des savonneries marseillaises dans les années 20, faillite causée par l’impossibilité à ces savonneries de s’adapter à une concurrence, leur volonté de ne pas sortir du cadre de la moyenne entreprise familiale et surtout une technicité de plus en plus poussée. Unilever racheta l’une après l’autre les savonneries Savonnerie Eydoux, Etablissements Charles Roux, Persil et enfin le fleuron marseillais, les établissements Verminck. La période directe de l’après-guerre avec l’arrivée en Europe de l’américain Procter et Gamble, finit de tuer la savonnerie marseillaise.
.
Enfin, pourquoi ne pointer du doigt que Vitrolles ? Et surtout l’affubler du patronyme de « ville nouvelle » alors que dans le programme de villes nouvelles générées par la construction de la zone de Fos, Vitrolles est la seule du programme à déjà exister. Que sont devenues dans ce tract les trois autres villes nouvelles, pourtant elles-aussi doté de zones industrielles ?
.
Cette lettre ouverte s’appuyant sur des faits historiques tronqués est donc surprenante, à prendre avec des pincettes et discrédites totalement le contenu par ses approximiations.
.
Quoi qu’est fait les familles bourgeoises marseillaises, le constat historique est là !
.
.

Aucun commentaire: