vendredi 25 mars 2011

Pour une juste ingérence internationale institutionnelle

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Vendredi 25 mars 2011 :
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François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, est intervenu mardi 22 mars à l'Assemblée nationale lors d'un débat consacré à l'intervention militaire en Libye.
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Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le ministre des Affaires étrangères,
Mesdames et messieurs les députés,

C’est un débat très important. Pourtant c’est un débat incomplet et je veux le dire d’emblée :
si nous étions logiques, si nous étions une démocratie de plein exercice, il aurait dû être sanctionné par un vote comme en Grande-Bretagne, comme en Espagne, comme Michel Rocard le fit au moment de l’intervention en Irak en 1991 engageant la responsabilité de son gouvernement. Rien dans nos institutions ne s’y oppose.

Cela étant, que devons-nous dire pour y voir clair et dégager une ligne d’action pour la France ?

Première affirmation : l’action diplomatique de la France a été bien conduite. La France a été à l’initiative, elle a pu obtenir une résolution, une résolution qui, pour une fois, disait quelque chose de précis, sur la menace que Kadhafi faisait peser sur son peuple, sur la zone d’exclusion aérienne, sur la défense de Benghazi. Nous sommes allés assez vite pour intervenir avant que les troupes de Kadhafi n’atteignent Benghazi, ce qui aurait créé l’irrémédiable.

Ce faisant la France a retrouvé un rôle, une capacité, une mobilité, conforme à son statut de puissance diplomatique. Il faut le mettre au crédit du Président de la République, du gouvernement, du ministre des Affaires étrangères.

Point positif : nous avons conduit cette action avec la Grande-Bretagne. Mais le point faible, très faible : nous n’avons pas réussi à convaincre en Europe, au sein même de l’Union européenne, et tant que ce sera France ou Europe, quelque chose d’essentiel, de précieux, nous manquera et manquera au monde.

Danger : aujourd’hui, nous devons en être conscients, la division internationale monte : critiques de la Russie, de la Chine, du Brésil, de la Turquie, de l’Inde, réserves de la ligue arabe, refus de l’Union africaine, réticences de l’Allemagne. Sur une carte physique et sur une carte politique du monde, cela fait beaucoup. Il faut donc nécessairement poursuivre et amplifier l’action diplomatique, et d’abord, en priorité, parler avec la Ligue arabe.

Situation militaire maintenant. L’action de nos armes a été décisive pour stopper la vendetta de Kadhafi. Nos avions, nos armements ont atteint ce but premier. Et avec l’aide des armes lourdes des autres membres de la coalition, une situation de domination militaire a été créée. Personne n’en doutait. Encore fallait-il le faire : il faut donc saluer nos forces armées et leur commandement.

Mais nous avons exclu, à juste titre, et la résolution exclut formellement toute intervention terrestre et toute intervention aérienne offensive. Nous pouvons continuer à brouiller les signaux, détruire les radars. Mais Clemenceau l’a dit une fois pour toutes : « on peut tout faire avec une baïonnette sauf s’asseoir dessus. ». La vraie question de l’issue, elle est donc maintenant de savoir comment le peuple libyen va se dresser contre son dictateur, comment nous l’y aidons, quels sont nos rapports avec cette résistance que nous avons reconnue avec panache, comme jadis la France libre fut reconnue par Londres, et comment nous évitons l’engrenage de la guerre civile qui durerait des mois et l’enlisement qui va avec.

Nous avons une lourde question autour du commandement. Nous avons exclu l’intervention de l’OTAN, autrement que subsidiaire. Au passage : alors pourquoi nous sommes-nous précipités avec une telle légèreté dans le commandement intégré ? Qu’allons-nous faire ? Reculer, ou bâtir une espèce de compromis de commandement de coalition. C’est dangereux. Une coalition, c’est difficile à commander, mais une coalition qui n’a pas de commandement, cela devient carrément un pari impossible, une gageure.

Enfin une question décisive, d’actualité en même temps que de long terme. Nous avons choisi d’assumer le droit et même le devoir d’ingérence. Nous sommes intervenus en Libye. Mais qu’allons-nous faire en Syrie ? Qu’allons-nous faire à Bahreïn ? Qu’allons-nous faire au Yémen ? C’est tout le monde arabe qui bouge traversé de forces dont les unes sont positives et encourageantes, l’aspiration à la liberté, la lutte contre la corruption. Et les autres dangereuses et noires : le fondamentalisme, l’affrontement souterrain et séculaire entre Chiites et Sunnites. D’autres régions du monde connaîtront des mouvements semblables. Or les institutions de ce devoir d’ingérence sont faibles, peu reconnues, ou méconnues.

Ces éléments permettent de tracer une ligne de conduite. Pour la Libye, il faut régler la question du commandement, soutenir efficacement la résistance intérieure, ne pas nous laisser entraîner à des interventions directes, même secrètes, et pour le monde, faire émerger les institutions internationales de la juste ingérence.

Nous avons pris le risque d’être audacieux, et c’est un risque juste. Nous sommes condamnés maintenant à aller plus loin et à devenir une force de proposition pour que change le monde.

Merci de votre attention.
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