vendredi 13 avril 2007

Bayrou et la France profonde


Mardi 10 avril 2007
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Ma belle sœur habite une région perdue au cœur de la France profonde : sur les hauts plateaux du Mézenc par mille trois cents mètres d’altitude. Pour aller chez elle, quatre heures de voiture dont la dernière demi-heure sur des routes qui ne portent que le nom et où croiser un autre véhicule est un véritable événement. Une fois la départementale quittée, il reste encore mille cinq cents mètres d’un chemin tortueux au milieu des champs et des bois et dont les derniers neuf cents mètres seraient dignes d’être inscrit à une épreuve mondiale des rallyes sur terre.

Mais, une fois arrivée, le vrai bonheur. Une vue sublime sur le Mont Mézenc et des champs verdoyants à perte de vue. Quant à la tranquillité, pas de risque d’être troublé par les voisins. La première habitation occupée se trouve une distance telle que la décence m’interdit de la dévoiler sous peine d’être accusé de mensonge.

Ma belle sœur est agricultrice. Des vaches, encore à l’étable par cette saison, des chevaux en liberté dans un vaste champ et quelques animaux de basse cour. Plus des champs de foins à perte de vue. Elle approvisionne plusieurs élevages des environs.

Mon beau-frère dirige dans un petit village proche du Puy en Velay sa propre PME de charpenterie métallique, PME qui a une forte notoriété dans la région. Pas un bâtiment de ferme, pas une salle municipale, pas un hangar dont il n’ait pas conçu la charpente. Grâce à son frère qui pose et lui qui conçoit et fabrique, la petite entreprise a même participée à quelques chantiers nationaux. Son temps libre, mon beau-frère le passe à aider sa femme dans les travaux de ferme.

Leur fils veut suivre les traces de son père. Il suit un CAP de métallurgie mais hésite un peu à la suite des appels répétés du pied d’un certain club de rugby de la région, très capé et très emblématique, qui cherche un troisième ligne de moins de 19 ans pour son école de rugby. « C’est tentant. Tu te rends compte, je n’aurais que deux heures de musculations par jour alors que j’en fais actuellement huit en aidant mon père à l’atelier ! »

Quant à la fille de la maison, elle veut devenir agricultrice et suit pour cela des cours à Valence. Son objectif : reprendre une partie de l’exploitation familiale actuellement dédiée au foin pour se lancer dans l’élevage et les fromages.

Ce long exposé pour vous expliquer que, là haut, je suis au cœur de la France profonde, une France très terre à terre, très critique envers la classe politique dans son ensemble et l’Europe en particuliers, une France à mille lieues des grands débats politiques que j’entends à longueur de journée.

Le soir même de mon arrivée, connaissant mon engagement, mon beau-frère m’a tendu un petit piège. Je me retrouve plongé dans un débat électoral que je n’ai pas voulu mais que je ne peux éviter, avec comme axe un sujet que je maitrise mal : l’agriculture.

Il n’y a pas photo : mes interlocuteurs sont « chiraquiens ». Pas UMP, pas de droite. « Chiraquien » avec toute la connotation que cet adjectif implique. De partout autour de moi fusent les appréciations positives sur son travail pour la défense de l’agriculture française, son sens de la ruralité et son degré d’implication au sein du monde paysan. On me brandit sous le nez le dernier numéro de la « Haute Loire paysanne » (qui tire à 25000 exemplaires) et qui raconte de manière dithyrambique la dernière visite de Jacques Chirac au salon de l’Agriculture.

« Lui, il nous comprend. Les autres, c’est que des guignols dangereux ! »

La pire charge est dirigée contre José Bové, cet « agriculteur de salon » qui « ne sait même pas élever une chèvre ! »

Par contre, ils ont un problème. Ils ont un sens aigu de la République et du droit de vote. Il leur semble trahir leurs ancêtres que de s’abstenir. Reste alors le problème de savoir pour qui voter et là, un méchant doute existe.

Il est hors de question pour les personnes présentes ce soir là de voter pour Nicolas Sarkozy qui « n’y comprend rien » ni pour Ségolène Royal, un relent de misogynie latent chez les paysans. « Je ne vais pas voter pour Jean-Marie quand même ! » martèle ma belle sœur à qui veut l’entendre.

Une des personnes présentes ce soir là lance : « Pourquoi pas ! Il est aussi crapule que les autres mais son élection donnerait un tel coup de pied dans la fourmilière … On aurait qu’à le foutre dehors ensuite. Cinq ans de galère, c’est vite passé ! Il ne pourrait sortir que quelque chose de bon lors des présidentielles de 2012. »

Et je réalise alors que beaucoup des personnes présentes ce soir là ne sont pas loin de penser comme lui !

Le travail de fond qui consiste à persuader mes interlocuteurs que François Bayrou est LA solution viable va être dur.

Je m’y mets tout de suite et la discussion va durer tard dans la nuit.

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