lundi 31 mai 2010

Ce texte est « anticonstitutionnel »

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Lundi 31 mai 2010 :
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J’avais prévu de préparer le papier de ce lundi comme d’habitude dimanche sauf que je n’avais prévu que, pour la première fois depuis onze tentatives, les « jaunards » allaient remporter ce foutu bout de bois.
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J’ai trop fêté la victoire pour avoir les idées très claires pour faire un long papier, donc je vais me contenter de reprendre l’intervention de François Bayrou devant l’assemblée nationale concernant l'élection des futurs conseillers territoriaux.
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Il a estimé ce jeudi "anticonstitutionnel" le scrutin majoritaire à deux tours décidé par le gouvernement
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Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais commencer par une remarque de forme, dont j'espère qu'elle ne sera pas trop superficielle.
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Le texte que nous examinons fait cent quatorze pages, écrites en petit comme on disait à l'école ; celui de la semaine dernière sur le Grenelle 2 en faisait deux cent soixante... Il me semble que nous perdons de vue ce que la loi devrait être : un texte posant des principes clairement dessinés, à l'image d'un travail d'architecte, autrement dit une législation lisible et compréhensible pour les citoyens.
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Votre texte est illisible et incompréhensible. Ce n’est pas bon signe. Faut-il rappeler que le décret de 1789, qui crée l’architecture locale des collectivités françaises, ne fait que deux pages ?
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Je ne crois pas que pour autant il ait été de moins bonne qualité ni qu’il n’ait marqué profondément la réalité de notre pays.
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Venons-en maintenant aux remarques de fond.
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Je crois avoir été le premier à avoir, dès l’élection présidentielle de 2002, défendu l’idée d’un rapprochement des élus des départements et des régions pour améliorer la coordination et le travail en commun de ces deux assemblées.
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Ayant présidé un conseil général pendant dix ans, j’ai souvent regretté l’ignorance mutuelle dans laquelle se tenaient départements et région – en tout cas chez moi.
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Il me semblait bon et utile que l’action des deux collectivités fût mieux coordonnée.
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Je n’entrerai pas dans le débat bénédictin qui s’est déroulé tout au long de ces journées : le département fonctionne-t-il mieux avec une collectivité de proximité, la commune, et l’intercommunalité…
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…la région rejoignant alors l’État et l’Europe ? À l’inverse, la cohérence doit-elle être recherchée entre départements et régions ?
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Pour ma part, je crois que les départements et les régions font le même travail, un travail de stratégie territoriale. Mais je n’entrerai pas dans ce débat : au fond, ce qui est plus important encore, ce sont les dispositions qui vont régir la désignation, l’élection de ces élus.
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Il ne suffit pas d’annoncer qu’on va rapprocher des élus pour que la représentation soit efficace et juste.
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Le choix du Gouvernement de déposer ex abrupto, comme on disait, à la va-vite, sur un coin de table, un amendement, visant à désigner les conseillers territoriaux au scrutin majoritaire à deux tours dans le cadre de petites circonscriptions départementales porte atteinte à la légitimité même de ces élus.
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Je distinguerai pour vous le démontrer deux approches. La première est une approche d’opportunité : est-il mieux de procéder ainsi ou aurait-il mieux valu faire autrement ? Cela peut mériter débat – nous en avons entendu beaucoup ces deux derniers jours. La seconde est de nature constitutionnelle : avez-vous le droit de décider de ce mode de scrutin ou n’en avez-vous pas le droit ?
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Je soutiens l’idée que vous n’en avez pas le droit. La Constitution, dans deux dispositions majeures, vous interdit de faire le choix de ce mode de scrutin.
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Je veux simplement rappeler, peut-être pour le public qui est dans les tribunes, que nous avons écrit à l’article 1er de la Constitution : « La loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
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Permettez-moi de faire une analyse de texte très rapide. Le verbe « favoriser » signifie qu’il y a une dynamique dans la loi qui veut constamment améliorer la situation électorale au regard de la parité souhaitée entre les hommes et les femmes.
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Ce n’est pas un vœu. La Constitution ne parle pas d’égalité des chances, mais bien d’égal accès.
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Nous sortons d’une situation dans laquelle à peu près un tiers des élus, départementaux et régionaux, étaient élus au scrutin proportionnel, c’est-à-dire avec la parité absolue ou presque ; vous voulez passer à une situation dans laquelle aucun représentant ne sera élu avec ce mode de scrutin paritaire. Vous ne favorisez donc pas : vous défavorisez. Le Conseil constitutionnel ne peut pas ne pas sanctionner ce point de vue.
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Par ailleurs, l’article 4 de la Constitution dispose – peut-être ai-je été de ceux qui ont participé un peu à la conception de ces lignes : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Le texte que vous proposez ne garantit pas du tout la participation équitable et le pluralisme : il fait le contraire.
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Je considère donc que, sur ces deux points, le texte que vous nous proposez est anticonstitutionnel et que vous n’avez pas le droit de proposer à l’Assemblée nationale de l’adopter.
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Il ne deviendra pas la loi, parce qu’il a toutes chances d’être sanctionné par le Conseil constitutionnel.
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Pour ce qui est de l’opportunité de ce texte, je sais bien que je suis minoritaire dans cette assemblée sur cette question. …mais je veux tout de même défendre mon point de vue. Nous avions deux assemblées, un conseil régional et un conseil général. Bon nombre d’entre nous ont siégé dans les deux.
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Nous savons bien que lorsque l’on portait un projet et que l’on ne réussissait pas, pour des raisons diverses et variées, à convaincre une assemblée, on pouvait toujours avoir recours à l’autre. Vous pouviez toujours vous tourner vers le département si la région vous ignorait, et vice-versa ; et parfois même – c’était à mon sens une très bonne idée – additionner les financements des deux.
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C’est une mauvaise idée de proposer de placer une assemblée unique dans la situation d’ignorer toutes les minorités. Une assemblée unique devrait, au contraire, être amenée à devoir convaincre, en allant chercher des majorités qui associent des opinions différentes ou des courants démocratiques différents.
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Le culte, l’obsession majoritaire conduit en réalité à la dictature des majorités sur les minorités.
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Sans oublier toutes celles qui sont absentes. C’est la raison pour laquelle je pense que même sur la question de l’opportunité, vous vous trompez avec ce texte.
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Deuxième d’observation : l’introduction des métropoles va créer un désordre gravement dommageable à l’organisation des collectivités locales en France. Combien seront-elles, ces métropoles ? Peut-être une quinzaine, car je ne crois pas une seconde que le seuil des 450 000 habitants ne résistera. Vous êtes partis de 700 000, puis on est passé à 600 000, nous en sommes à 450 000… Expliquez-moi la différence qu’il y a entre Strasbourg et Montpellier en terme de rôle, de place !
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Pourquoi ne pas descendre jusqu’à Belfort, dans le du Territoire du même nom, si vous me permettez cette parenthèse souriante ?
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Pour commencer, vous donnez aux métropoles toutes les compétences des communes qui les forment. Il n’est jusqu’aux cimetières et aux abattoirs que vous ne leur ayez confiés…Qui plus est, vous transférez aux métropoles la totalité – ce sera possible – des compétences des départements et des régions.
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Monsieur le secrétaire d’État, nous ne sommes pas seulement des législateurs pour 2010 ; nous sommes les héritiers d’un très long temps, deux cents ans. Expliquez-moi ce qu’il restera du département de la Gironde ou du département de la Haute-Garonne lorsque vous leur aurez enlevé Bordeaux ou Toulouse ? Que reste-t-il de l’Alsace sans Strasbourg ?
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Que restera-t-il de la réalité du département, et même de la réalité des régions, lorsque vous aurez transféré la totalité des compétences touchant à l’économie, au social, aux lycées et aux collèges, y compris en termes de communication autour de l’image de la collectivité, de la région à l’extérieur et à l’étranger ? Que restera-t-il ?
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En vérité, c’est à la démolition du département et d’un bon nombre de régions françaises que vous êtes en train de procéder. C’est regrettable et cela va semer un grand désordre, d’autant que personne ne vous le demandait – si ce n’est les maires de grandes villes de tous bords, de droite comme de gauche, tous unis pour prendre les compétences des départements et des régions.
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À cette exception près, bien aisée à comprendre, je suis persuadé que personne dans l’opinion publique française n’était disposé à ce que l’on aille dans ce sens. Je crois que l’on se trompe, je crois que c’est une erreur.
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Dernière observation, qui n’a pas été faite jusqu’à présent. Vous allez vous trouver dans la situation où les métropoles ayant extrait leurs compétences des départements et des régions, ces départements et ces régions n’en seront pas moins gérés par les élus de ces métropoles… Leur poids sera déterminant. Je m’interroge sur la constitutionnalité de la situation dans laquelle des élus très nombreux pèsent un poids déterminant sur le conseil d’une assemblée sans que cette assemblée n’ait la moindre compétence réelle sur le territoire qu’ils représentent ! Il y a là quelque chose d’extrêmement curieux, et à mes yeux très déstabilisant au regard de l’idée que les citoyens devraient avoir de la simplicité et de la lisibilité de leurs collectivités locales.
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Pour conclure, bon nombre de dispositions dans ce texte me semblent procéder d’une idéologie que je crois fausse, celle du big is beautiful. Je sais que la pensée technocratique va souvent dans ce sens : plus c’est gros, mieux c’est ; plus c’est fusionné, plus c’est rapproché, plus on donne la compétence à des fonctionnaires plutôt qu’à des élus de terrain, mieux c’est. Je crois le contraire : l’histoire de la France montre aussi que small is beautiful. Il y a dans la proximité, dans les territoires, fussent-ils exigus, dans les élus réputés petits et que je crois pour ma part tout à fait essentiels, quelque chose d’intime dans l’histoire de notre pays. On a tort de choisir l’idéologie qui consiste à constamment les effacer : c’est une partie de notre histoire que l’on effacerait. Je maintiens que ce texte est désordonné, qu’il est inconstitutionnel à plusieurs titres ; vous seriez bien avisé d’y réfléchir, monsieur le secrétaire d’État, et votre majorité avec vous.
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