mardi 27 mars 2007

Nation et nationalisme

Lundi 26 mars 2007
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Sur ce point, je suis parfaitement en accord avec François Bayrou. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les idées « frontistes» sont en train d’envahier l’esprits de la candidate socialiste et du candidat de la droite.

« Honorer la nation, c'est bien. Mais il ne faut pas sombrer dans la névrose perpétuelle de l'identité. » (…) « Peut-être que je suis libertaire, mais cela ne ressemble pas à l'idée que je me fais de la démocratie. En tout cas, si je suis président de la République, je ne ferai pas de circulaires pour expliquer aux Français comment aimer la France »,
a déclaré le président de l'UDF. « Tout cela donne le sentiment que les idées de Le Pen envahissent l'esprit des deux candidats. J'ai vraiment l'impression que l'un et l'autre ont un problème avec la question de l'immigration », a ajouté Bayrou, assurant qu'il ferait son possible pour que la campagne électorale « ne dérape pas sur les thèmes de l'immigration et de l'identité nationale ».

Hier, de retour à Paris, il a renouvelé ses critiques contre ses deux rivaux, accusés de se livrer à « une course-poursuite » sur l'identité nationale, qui à ses yeux « n'est pas la question de la présidentielle ». « La nation a des problèmes, mais la nation n'est pas un problème », a-t-il dit au « Forum Radio J ». « Je ne participerai pas à cette course-poursuite dont on sait où elle commence et dont on devrait savoir aussi où elle peut aller », a-t-il ajouté.

Tout ce ramdam m’amène à me poser la question de ce qu’est la Nation et ce qu’est le nationalisme. J’ai la nette impression que beaucoup de monde confond les deux.

Parler enfin des nombreux problèmes liés à l’immigration, lancer un débat sur ce qu’est l’identité nationale sont deux excellentes initiatives mais lier ces deux thèmes est une idée à très courte vue. L’'ébranlement de l'identité nationale n'est pas lié seulement, loin de là, à l'immigration. Même s'il est vrai que l'immigration est concomitante à certains de ces problèmes et sert souvent de bouc émissaire

La crise de l’identité nationale est due à plusieurs facteurs dont certains sont convergents :
- réduction de la puissance de la France depuis la désagrégation de l’empire colonial
- réduction des paramètres traditionnels fondant la souveraineté (disparition des frontières, du service militaire, de la monnaie)
- insertion dans un espace politique européen ou les nations sont mises sur un ranfg d’égalité
- affaiblissement de l’Etat centralisateur au profit d’instance régionale
- affaiblissement des autres formes d’autorités comme la famille ou l’Eglise.
- Et dernier facteur, à mon avis primordial : l’absence de conflit réel.

Longtemps, l'identité française a été étroitement liée à l'idée de la guerre. L’absence de conflit réel depuis la fin de la guerre d’Algérie a ôté un socle liant à cette identité.

Le modèle classique français a longtemps été universaliste, providentialiste, messianique. Il s'est sédimenté au cours du temps. Ainsi, la France a connu au cours des siècles plusieurs identités nationales :
- identité royale féodale
- identité monarchique
- identité révolutionnaire
- identité républicaine
- identité démocratique
Cette dernière est la synthèse actuelle faite par la République

Or, cette synthèse s’est progressivement délitée sous les coups de l’Histoire, de ces deux victoires à la Pyrrhus (1918, 1945) et de cette défaite en 1962. Avec la guerre d’Algérie, les français ont pris conscience de leur dépossession du monde et de leur nouvelle place sur le globe terrestre : une nation parmi tant d’autre. C'est une crise très profonde qui n’est pas encore terminée.

A ce bouleversement des pensées a correspondu sur le plan politique à l’évanouissement d’un certain nationalisme développé dans la première moitié du XXème siècle, un nationalisme antagoniste, un nationalisme de gauche, révolutionnaire et patriotique et un nationalisme de droite, conservateur, réactionnaire, maurrassien dirais-je. Pourtant, les deux se rejoignaient lors des grandes crises. Le gaullisme et le communisme, cocktails nationaux et révolutionnaires, ont représenté l'apogée de ces deux modèles et probablement leur fin. Leur déclin a été vécu comme une crise grave.

La prise de position de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale et les réactions violentes qu'elle a suscitées sont un aspect du drame français qui est de lier toujours la pensée de la nation au seul nationalisme alors qu’il s’agit de deux choses différentes.

Je ne peux que regretter que la gauche ait abandonné à la droite (et la droite à l'extrême droite) le thème de la nation. Comme le dit si bien Pierre Nora, « le projet national et plus largement la nation française reposent sur une continuité exceptionnelle, qui a été à la fois dynastique, territoriale, historique. Il y a eu la France révolutionnaire contre la France d'Ancien Régime, la France laïque contre la France religieuse, la France de gauche contre la France de droite. Il ne reste pas grand-chose de ces affrontements : de Gaulle a converti la droite à la République ; le conflit sur l'école a été le dernier accès de fièvre entre laïques et catholiques ; quant à la gauche et à la droite, en dépit de leurs oppositions, elles ont perdu leur désir d'extermination réciproque. »

Au cours des vingt dernières années, nous avons assisté à trois tentatives idéologiques pour redonner un sens collectif au peuple français :
- Le discours et la percée de Jean-Marie Le Pen mais qui est historiquement un retour en arrière, une forme de régression nationaliste et réactionnaire qui nie les leçons de l’Histoire et les réalités mondiales.
- L’apparition de l’idéologie écologique, idéologie ni de droite ni de gauche, porteur d’un grand projet mais qui ignore le volet social de notre civilisation.
- La montée en puissance des valeurs des droits de l’homme mais qui porte en elle, malgré que la République s’en veuille le chantre, la destruction de celle-ci car l'histoire de la nation française nous démontre qu’est criminelle au regard des droits de l'homme.

Depuis quelques années, le peuple français tente de reconstruire sa vision de la nation parce qu’il sent confusément qu’il à besoin de cette notion. Beaucoup on crut, à tort, que l’Europe pourrait se substituer à la nation. Le nationalisme, de droite ou de gauche, nous avait caché la vision de la nation. Cuisant échec.

Tous les intellectuels actuels ne cesse de citer Renan, le culte des ancêtres, la volonté de vivre ensemble, avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir en faire encore... Mais, ne nous voilons pas la face : que veut dire le « culte des ancêtres » dans la France actuelle ? Quel lien avons nous avec les grandes actions passés ? Où est passé ce sentiment fort qui associait le passé et l’avenir dans une continuité permanente ?

« Lorsqu'il n'y a plus de continuité avec le passé, la nouvelle trilogie est : mémoire, identité, patrimoine. »

De tout temps, l’identité a pris en France une intensité particulière. Cette intensité provenait du caractère étatique et centralisateur de la France y compris dans son enseignement de l’Histoire. Ainsi, nous en sommes arrivés à avoir une histoire nationale et des mémoires de groupe.

Je m’explique : que vous soyez aristocrate descendant des guillotinés de 1792, ouvriers, petits fils des mineurs de Clémenceau, agriculteurs, fils des rapatriés d’Algérie, votre entrée à l’école faisait de vous un simple Français qui apprenait l’Histoire de France « de la Gaule à de Gaulle ». Cet enseignement offrait un terreau collectif à toutes les couches de la populations françaises par ailleurs très diversifiées.

L'insertion des minorités (religieuses, régionales, sexuelles) dans la collectivité nationale a renforcé la mémoire, faite de récupération d'un passé, vrai ou faux, au détriment de l’Histoire, ciment de la nation. « L'émancipation mémorielle est un puissant corrosif de l'histoire, qui était au centre de l'identité française. »

« Nous avons intérêt à ce que les politiques prennent conscience des nouvelles données. La succession des identités nous en donnera de nouvelles. La nation de Renan, funèbre et sacrificielle, ne reviendra plus. Les Français ne veulent plus mourir pour la patrie, mais ils en sont amoureux. C'est peut-être mieux.

Au fond, ce n'est pas la France qui est éternelle, c'est la francité. »
(Pierre Nora)

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