lundi 27 juillet 2009

Un vote moyenâgeux

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Lundi 27 juillet 2009 :
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Dans la série des papiers de l’été, en ce début de semaine comme prévu un petit papier historique avec cette fois-ci le vote au Moyen-âge.
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Contrairement à une idée reçue bien ancrée dans la mémoire collective, le processus électoral existe au Moyen Age et il en est une des réalités politiques les plus incontournables. Bien entendu, ce processus ne concerne pas l’ensemble de la population mais un nombre très limité d’électeurs et les processus en vigueur ne sont ni simple ni démocratiques. Toutefois ces élections constituent aussi un mode d’accession au pouvoir au même titre que l’hérédité ou le coup de force.
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Les champs d’actions de ces élections sont vastes et variés. Les élections peuvent donc être municipales (le cas le plus fréquent), royales (les rois de Suède et de Hongrie par exemple), impériale (cas de l’empereur germanique), ecclésiastique (les évêques en France au XVème siècle) ou pontificale (la très connue élection du pape)
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Mais ne nous leurrons pas : ces élections sont très différentes de celle que nous pratiquons dans nos démocraties modernes et n’ont rien à voir avec celle-ci
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Tout d’abord, le premier point à noter, c’est qu’il n’y a pas systématiquement de candidat et de campagne électorale. Par exemple, il est rare qu’un évêque se déclare candidat au poste suprême même s’il en meurt d’envie. Il en est de même pour certains échevins élus par leurs pairs contre leur volonté ou même pour certains rois !
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Ensuite, les modes électoraux sont aussi variés que les charges qu’ils doivent désigner. Sans compter que les modes électoraux évoluent aussi avec le temps. Les élections urbaines qui servent à désigner les échevins, jurats, consuls ou même les maires sont particulièrement exemplaire et révélateur des procédures complexes en usages en ce temps là.
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En Espagne, par exemple, des commissaires nommés par le roi établissent des listes de citoyens susceptibles d’avoir des charges. Ensuite, les « électeurs », bourgeois et autres citoyens autorisés, se prononcent en déposant son vote dans un sac (oui ou non) au fur à mesure de l’appel du nom du candidat. Le scrutin est majoritaire et secret.
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Au Moyen-âge, élire quelqu’un ne lui donne pas accès à la charge pour laquelle il vient d’être nommé. En effet, les pouvoirs d’une charge sont généralement remis lors d’une cérémonie supplémentaire dont le rituel l’inscrit dans le sacré. C’est le cas pour les papes, les évêques, les rois et les empereurs. Mais c’est aussi le cas pour les autres charges urbaines où les élus doivent au mieux prêter serment, au pire allégeance.
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Ces élections sont par contre le théâtre de débat public digne de nos propres démocraties. Il n’est pas rare de voir des affichettes de propagande pour tel ou tel candidat ou le dénigrant. Des pressions, des luttes intestines ont aussi lieu pour pousser les électeurs vers tel ou tel candidat.
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Il faut aussi se rendre à l’évidence : le clientélisme est roi lors des élections moyenâgeuses et l’avis électoral a très peu de marge de manœuvre.
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Les élections au Moyen-âge sont donc ce qu’elles paraissent être : un enjeu de pouvoir plus que de représentation démocratique. Mais ce qui demeurent par rapport à nos propres élections, c’est que les programmes électoraux ne sont pas absent des ambitions des élus qui se battent pour eux.
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Au fond, à ce niveau là, rien n’a changé !
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1 commentaire:

MP a dit…

Tu as bien raison de rappeler cette vérité... la légende noire du Moyen-Age continue à faire florès.

D'ailleurs, si tu es amateur de curiosités électorales moyenâgeuses, je te conseille l'élection du doge de Venise. Dans le genre retors, on peut difficilement faire mieux :

« Le 7 juillet 1268, le doge Ranieri Zen mourait. Pour l'élection de son successeur, les six conseillers et les trois chefs des Quarante (qui formaient tous ensemble ce qu'on appellera la Serenissima Signoria, la Sérénissime Seigneurie) mirent en place un système destiné à durer jusqu'à l'élection du dernier doge, en 1786. Selon la nouvelle loi électorale, dont la tradition attribue l'idée au capo di Quaranta, Ruggero Zorzi, le plus jeune conseiller devait descendre dans la basilique Saint-Marc, amener avec lui le premier enfant rencontré et le conduire au palais, l'engageant comme ballottino, c'est-à-dire préposé à l'extraction des ballotte (balles d’argile, puis de cire ou de toile utilisées pour les votes) et des bulletins de l'urne. Dans l'urne, ou cappella (chapeau), recouverte d'une étoffe cramoisie, on mettait autant de ballotte qu'il y avait de membres du Grand Conseil, mais trente d'entre elles contenaient un petit billet portant la mention elector. Le ballottino, les yeux bandés, retirait les balles l'une après l'autre et les remettait à tour de rôle aux membres du Grand Conseil qui défilaient devant lui. L'opération terminée, tous devaient sortir à l'exception des trente qui avaient été désignés par le sort. Ceux-ci devaient être issus de familles différentes et n'être liés par aucun lien de parenté; dès que l'un d'entre eux avait reçu la ballotta qui faisait de lui un électeur, on criait son nom à haute voix et tous les membres de sa famille, plus les aïeux et les oncles maternels, les beaux-frères, les neveux et les gendres, devaient sortir de la salle. Parmi les trente restant, on en tirait de nouveau neuf au sort; les neuf se réunissaient, les quatre premiers proposaient cinq noms par électeur tandis que les cinq autres en proposaient quatre. Ce choix faisait l'objet d'un nouveau vote et les quarante élus avec un minimum de sept voix défilaient à leur tour devant le cappello pour un nouveau tirage au sort qui les ramenait à douze. Avec une majorité minimale de neuf voix, les douze élisaient vingt-cinq autres électeurs parmi lesquels on tirait encore au sort neuf d'entre eux qui élisaient quarante-cinq nouveaux électeurs (majorité requise, sept voix). Nouveau tirage au sort, nouvelle élimination, cette fois de trente-quatre électeurs sur quarante-cinq ; les onze restant élisaient par un vote régulier à la majorité de neuf voix au moins les quarante et un électeurs qui, toujours enfermés, procédaient à l'élection du doge pour laquelle était exigée une majorité de vingt-cinq voix.
Une procédure aussi incroyablement compliquée [sic] et aussi peu influençable trahit l'inquiétude secrète [sic] du monde politique vénitien : comment éviter des élections passionnées ou truquées risquant d'amener comme dans tant d'autres villes d'Italie et de Vénétie la naissance de tyrannies personnelles et familiales, de suzerainetés ? »

Tiré de ZORZI A., La République du lion – Histoire de Venise, Paris, Librairie Académique Perrin, 1989, pp.84-85.